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Architecte, diplômée de l’ENSAB en 2007, elle redécouvre l’architecture bretonne en bauge et en torchis avant de créer l’agence d’architecture atelier alp en 2013 . Elle fonde en 2017 Terra Architecteurs entreprise de contractance générale spécialiste de la réhabilitation de bâti ancien et adhère à la coopérative Les Architecteurs.

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Peux-tu te présenter ?

Je m'appelle Amélie Le Paih, je suis originaire de Saint-Malo. J'ai fait mes études d'architecture à l’ ENSAB  à Rennes, j'ai été diplômée en 2007. Ensuite, j'ai travaillé sur le centre ancien de Rennes, sur la rénovation des immeubles en torchis (1), particulièrement sur les remplissages en terre et la possibilité de les réparer. Nous n’avions pas toujours la solution…J’ai eu le sentiment que je devais encore apprendre et je suis parti à Grenoble me former durant deux années, au sein du DSA architecture de terre à l’ENSAG et au CRAterre (2). Pendant ces deux années, j'ai pu approfondir vraiment mes connaissances sur le sujet. 

 

En 2008, il n'y avait pas beaucoup d'informations sur la construction en terre pour les jeunes architectes qui sortaient de l’école, donc ça m'a vraiment permis d'avoir une base de compétences solides. J'ai fait un mémoire sur l'utilisation de la terre, sur l'entretien des immeubles en torchis du centre-ville de Rennes (3). Ensuite, j'ai été intégrée à l'issue de mon stage dans une entreprise de maîtrise d'œuvre (4) chez des ingénieurs pour réaliser la direction de travaux : réhabilitation de bâtis anciens particulièrement des immeubles en torchis. 

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Ensuite, je suis partie une année au Brésil à Guadalajara, en expatriation et à l'issue de cette expérience, je suis revenue à Rennes et j'ai créé mon agence d'architecture spécialisée en intervention sur bâtis anciens. Une agence d'architecture classique en libéral en 2013. On a fêté les 10 ans récemment. On intervient en libéral auprès des copropriétés sur la réhabilitation des immeubles en torchis. 

En 2017, j'ai créé la société de construction “Terra Architecteur” (5) qui fait partie de la coopérative "Les Architecteurs"(6). On est contractant général (7) et on va faire de la construction clé en main, prix et délais garantis sur la partie terre crue. On fait principalement de la réhabilitation de maisons en "bauge" (8) pour des particuliers. Aujourd'hui, on a environ 50% de notre activité en libéral avec les copropriétés sur la réhabilitation d'immeubles en centre-ville de Rennes, en secteur sauvegardé sur du torchis et 50% avec des particuliers sur la réhabilitation de bâtis terres plutôt en milieu rural. Ça peut être un ravalement, mais ça peut être aussi une réhabilitation complète, transformation de grange en habitation. Aujourd'hui à l'agence, on est trois architectes. J'ai deux collaborateurs, une économiste de la construction et une assistante comptable pour pouvoir suivre et chiffrer et concevoir les projets de réhabilitation.

Peux-tu nous parler du territoire dans lequel nous sommes, et qu'est-ce que représente la terre crue dans le patrimoine bâti autour de Rennes?

Je suis attachée à la Bretagne parce que c'est mon lieu d'origine. Toute ma famille et mes amis sont ici. J'ai fait aussi mes études en partie à Nantes pour la HMONP (9) et à Grenoble pour le DSA architecture de terre. J'avais envie de revenir pour deux raisons. Déjà parce que d'un point de vue professionnel, on a la chance d'avoir un patrimoine en terre crue qui est exceptionnel sur tout le bassin rennais. Et aussi, parce qu’il y a une dynamique intéressante. Lorsque je suis revenue d'expatriation, je suis allée voir aussi l'association Tiez Breiz (10) dont j'ai été l’administratrice pendant neuf ans. Dans le bassin rennais, il y a encore des personnes qui veulent converser les savoir-faire, on retrouve une dynamique vertueuse avec des gens qui veulent réhabiliter dans les règles de l’art. C'est un socle de savoirs et de connaissances qui est une base favorable pour s'implanter au niveau professionnel. Et quand j'ai créé mon agence, on a fait le business plan au départ, on s'est dit « C'est vrai que là, il y a tout pour réussir » parce qu'il y a un patrimoine complet, autant dans les villes, il y a des très beaux immeubles en torchis, autant dans les campagnes, on a de la bauge. 

1. Matériau constitué par un mélange de terre grasse argileuse, de chaux et de fibres végétales et éventuellement animales, notamment de poils de vache, qui est utilisé pour lier les pierres d’un mur ou pour former le hourdis d’une construction en colombage.

7.  Un contractant général est une entreprise globale qui propose à son client (Maître d'ouvrage) une offre clé en main, de la conception de la construction jusqu'à sa livraison. Il pilote et coordonne les différents acteurs du projet. Responsable unique il est le garant de la réussite du projet.

8.  La bauge est une technique de construction servant à monter des ouvrages monolithiques en terre crue. La terre, tirée généralement du site de construction, est mélangée à de l'eau pour atteindre un état plastique, puis empilée par motte pour former des ouvrages.

9.  Habilitation à la maîtrise d'oeuvre en nom propre

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Figure 2. Principe constructif d'un mur en bauge. Dessin, une fenêtre sur la ville, d'après : "Terre crue, techniques de construction et de restauration - Bruno Pignal - édition Eyrolles 2005.

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A quel moment, as-tu pris conscience de ce patrimoine en terre et de ton envie de travailler sur ces sujets de recherche ?

 

J'ai toujours eu des valeurs assez écologistes et sur la protection de la nature. J'ai été longtemps éclaireur et éclaireuse de France, donc on était beaucoup tous les étés dans la nature. J'ai décidé de faire des études d'architecture et je suis partie une année au Mexique, faire ma quatrième année d'architecture. J'étais à Guadalajara et j'habitais dans une maison en adobe (11). Je me suis posée pas mal de questions parce que cette maison à 1800 mètres d'altitude, sans climatisation, était très confortable par rapport aux autres contemporaines. J'ai eu la chance aussi de visiter beaucoup de régions au Mexique où la culture constructive en terre est encore vivante. Il y a autant de patrimoine en réhabilitation que du neuf en construction. De voir encore des personnes au bord de la route faire des adobes, cela m’a marqué. En tant qu'étudiante en école d’architecture, je n'avais jamais entendu parler de cette technique. Ce voyage a été un premier déclencheur. 

 

Ensuite, quand je suis revenue en Bretagne, pour ma cinquième année, je me suis dit, mais en fait, il y en a partout aussi chez moi. Le déclic, ça a été que j'ai rencontré l'adéquation entre mes études et mes valeurs personnelles. Je me suis dit « C'est ça que je vais faire pour me sentir bien aussi dans ce que je fais. Dans mon projet professionnel, je vais être en accord avec ce que je ressens. » J'ai donc fait mon projet de fin d'études là-dessus. J'ai fait un premier stage d'une semaine chez un maçon, j'étais allée voir les maçons du coin et j'ai présenté un projet de fin d'études sur des constructions neuves en terre. Il y a eu beaucoup d'interrogations à mon jury de fin d'études, avec des questions qui étaient très enthousiastes et d'autres beaucoup moins sur ce que c'était la terre. Et surtout, je me suis rendue compte que je me sentais un petit peu seule par rapport à mes interrogations sur la partie technique. Et d'ailleurs, concernant mon projet de fin d'études, il y a plein d'erreurs techniques que je ferais autrement pour construire aujourd'hui. A l'issue de ça, je suis allée faire un stage de fin d'études chez l'architecte Dominique Urien que j'avais choisi, qui avait construit un projet de lotissement en terre avec CRAterre, à Romillé dans les années 80.

Figure 3. Immeubles en torchis

du centre-ville de Rennes en secteur sauvegardé

11.  Argile et sables qui, mélangés d'eau et d'une faible quantité de paille hachée ou d'une autre fibre, peut être façonnée en briques séchées au soleil. 

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La construction en terre crue permet de réinjecter beaucoup de valeur humaine dans les chantiers, comment intègres-tu cette valeur humaine ?

Pour intégrer la valeur humaine, il y a plusieurs choses. Pour commencer, il y a beaucoup de respect vis-à-vis des entreprises de travaux et particulièrement des maçons, les charpentiers et les autres corps de métier. Ensuite, grâce à la société de construction, “Terra Architecteur”, nous pouvons choisir nos sous-traitants. En l'occurrence, je vais créer mon équipe en fonction du projet et intégrer les artisans sélectionnés assez rapidement au départ de la conception pour trouver des solutions techniques rapidement. Impliquer les artisans au départ permet d'améliorer grandement la qualité architecturale des projets. La troisième chose, c'est qu'on va intégrer souvent le maître d'ouvrage à la réalisation. Il va pouvoir faire, par exemple, une partie des travaux lui-même. On s'occupe de toute la partie structurelle en terre crue avec le maçon et le maître d’ouvrage va être accompagné pour les enduits ou les finitions en correcteurs thermiques. C’est assez simple, par exemple, on va mettre le maçon avec le maître d'ouvrage pendant trois jours qui va lui montrer comment faire des enduits correcteurs thermiques intérieurs. En fait, il y a une intégration de la pratique non professionnelle dans le chantier. Je dirais que c'est très important de ramener l'humain dans le chantier et que c'est une des raisons aussi pour laquelle on fait de la terre. C'est parce que c'est agréable et que ça permet aussi que tout le monde se retrouve dans le projet.

Figure 4. Lotissement en pisé, CRAterre et Dominique Urien, Romillé.

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Sur la partie participative des chantiers, comment gères-tu l'assurabilité du bâtiment ?

 

Sur la partie participative, la partie structurelle, c'est l'entreprise qui va prendre la responsabilité structurelle et nous aussi. C'est à dire que sur tout ce qui est structure, pose de grandes baies, construction de murs structurels, soit l'entreprise fait et son assurance décennale couvre, soit on porte la garantie avec l’assurance décennale de Terra Architecteur. Je fais partie de la coopérative des “Architecteurs” (12). J'ai expliqué à mon assureur ce que je faisais, je le connais personnellement, et grâce à la coopérative aussi, on a eu des contacts qui ont pu me soutenir auprès de mon assureur. Sur la partie structurelle, c'est Terra Architecteurs et l'entreprise de maçonnerie sous traitant qui portent l'assurabilité du chantier. C'est vrai qu'on ne va pas forcément mettre des non-sachants pour faire des grandes ouvertures dans des baies ou d’autres interventions sensibles. On demande au non-sachant souvent leur aide pour tout ce qui est enduits, correcteurs thermiques, des remplissages de cloisons en torchis, par exemple. On peut les aider également pour le malaxage. Ça nous est déjà arrivé de faire venir le cheval pour malaxer la terre au pied du mur. Et puis, la famille avec des amis vont mettre le remplissage torchis dans une ossature bois qu'on aura fait préparer par le charpentier en amont. Et les enduits de finition qu'on peut mettre à la charge aussi du maître d'ouvrage. Donc, on ne leur fait pas prendre trop de risques d'un point de vue structurel, mais ils vont pouvoir mettre la main à la pâte et faire les finitions. Ils sont souvent très fiers  et il y a un lien d'intérêt économique aussi.

Figure 5. Les photos proviennent du chantier de la Motte aux anglais à Dingé. Ghislain Maetz.

12. Fondée en 1981 Le groupe Architecteurs est une coopérative regroupant dans toute la France 90 sociétés d’Architectes Contractants Généraux. Architecteurs : Un nom peu commun. À la fois Architecte & Constructeur, sa double compétence lui permet d’appréhender chaque projet dans sa globalité́. Impliqué dans toutes les étapes de la 1ère esquisse à la remise des clés, il garantit à chacun de ses clients le prix et le délai de ses réalisations.  

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Est-ce que c'est facile de trouver des artisans qualifiés spécialisés dans la terre crue ? Est-ce que tu as l'impression qu'il y a eu une évolution ?

 

Pour trouver des artisans spécialisés en terre crue, nous, on a beaucoup de chance en Bretagne, parce qu'on a historiquement des maçons qui avaient quand même conservé certains savoir-faire, qui sont partis à la retraite maintenant, mais il y a une continuité qui ont formé des jeunes. Il y avait quelques entreprises de maçonnerie, de restauration du patrimoine. Je pourrais vous les citer si vous voulez. Par exemple, je pense à Denis Malléjac (13) ou encore à Gérard Lenain (14), qui, dans les années 80, 90, 2000, ont continué à réhabiliter de façon respectueuse le bâti ancien, qui ont formé des jeunes et qui s'appuient aujourd'hui. Ces nouveaux entrepreneurs de maçonnerie, sur des centres de formation. Il y a trois centres de formation qui sont très dynamiques et qui, je vois bien, qui amènent des compagnons qui ont des compétences techniques et c'est très agréable sur les chantiers. Il y a ECLIS (15) à Dinan, Ecobatys (16) du côté de Fougères et Noria formation (17) du côté de Redon. C'est trois centres de formation impulsent une très belle énergie sur les chantiers.

Lorsqu’on pense au modèle de construction normé, la bauge est-elle un matériau “normable”?

En fait, le système de construction industrialisé est un système normatif qui est basé sur les caractéristiques du matériau. Dans la culture constructive en terre, pour assurer la qualité, on va avoir besoin d’assurer une qualité sur l’entièreté du processus. Il faudrait plutôt qualifier le processus de mise en œuvre que le matériau en lui-même, parce qu'il est extrêmement variable. On voit que la quantité d'argile, la quantité de grains, les types d'argile, même si le gisement se situe à 100 mètres l'un de l'autre, sont différents. On a une variabilité du matériau qui fait que le caractériser et le normer, c'est compliqué et ce n'est pas forcément intéressant. 

 

Et justement, aujourd'hui, il y a toute une discussion au sein de la filière Terre pour rassurer les assureurs, pour pouvoir développer plus la construction de terre et massifier la production. Vaut-il mieux avoir un matériau invariant qui s’adapte à tous les chantiers et tous les territoires ? Par contre, du coup, il faut le calibrer, il faut que ça soit fait dans des unités de production précises.

C’est un débat ouvert entre qualifier la façon de faire ou produire un système constructif à plus grande échelle. 

Certains penseront que le plus important, c’est de qualifier la façon de faire. C'est en faisant “bien” qu'on aura une bonne qualité. Et c'est en sélectionnant bien sa terre, c'est en adaptant le système constructif au type de terre ou en ayant des processus de contrôle et d'auto contrôle tout au long des phases de mise en œuvre qu'on va pouvoir atteindre une bonne qualité. Ces deux pistes là, moi, de mon point de vue, je pense qu'elles sont intéressantes dans les deux cas et que ça va être en fonction aussi peut être des projets. Nous concernant, à l’échelle de nos projets : maisons individuelles, immeubles en réhabilitation et petites constructions neuves, je trouve que la solution de qualifier le savoir-faire du maçon est très pertinente. Cela pourrait passer par des règles professionnelles qui nous permettraient de faire des autocontrôles, on pourrait avoir toujours cette variabilité du matériau, mais on contrôlerait le processus. 

Est-ce que tu peux nous en parler du détail de l'ouverture en carré de chêne que tu mets en œuvre ?

“La double carré de chêne” est un système constructif commun dans le bassin rennais. Le mur en terre va avoir tendance à être assez faible au niveau de l'arrachement. La double carré de chêne permet de supporter la menuiserie. La carré extérieure est légèrement plus petite que la carré intérieure ce qui va permettre de poser les menuiseries en applique. A“frais”, on monte la “levée”(18), on pose la carré et “à frais”, la terre est posée autour.

13. Labellisée "Entreprise du Patrimoine Vivant" depuis 2007, la SARL Denis Mallejac met à votre service son savoir-faire lié à l'utilisation de la terre du bassin Rennais et participe à la conservation du patrimoine breton.

14.  Formateur sur l’utilisation du Chanvre pour les MO, Architectes et Artisans depuis 35 ans. Artisan puis Entrepreneur de 2004 à 2013,a développé notamment une machine spéciale pour la projection du Chanvre a participé à l’élaboration des règles professionnelles pour la construction en chanvre (Membre fondateur de Construire en Chanvre). Président de Tiez Breiz (Association pour la sauvegarde des pratiques traditionnelles dans le bâti ancien). Membre du bureau de l’Association Lin et Chanvre en Bretagne

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Figure 7. Denis Malléjac. artisan terre crue.

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Figure 8. Gérard Lenain

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C'est un des types d'ouverture en double carré qui était utilisé en Bretagne autour du bassin rennais. Ça a été énormément utilisé au XIXᵉ et début du XXᵉ, mais on a d'autres types d'ouvertures qui sont aussi très pertinents. Par exemple, on a des linteaux simples avec juste des éléments en bois latéraux pour fixer les menuiseries qui vont nous permettre d'absorber le tassement de terre. C'est vraiment intéressant. L’artisan, Ghislain Maetz (19) met en œuvre cette technique fréquemment. Au début du XXᵉ, on a vu des ouvertures qui se sont développées avec de la brique de terre cuite pleine. C'était des briques de terre cuite pleine à l'extérieur avec un linteau intérieur. Ça donne aussi une ouverture au niveau d'un niveau esthétique qui est assez intéressant. L'angle vif en terre crue à tendance à s'abîmer plus rapidement. La double carré de chêne est une solution pour avoir des finitions très propres, très dures dans les angles, au niveau des ouvertures.Au niveau de la durabilité et du patrimoine, c'est intéressant. A l’agence on en a mis beaucoup parce qu'au début c'était une façon de se rassurer.


Aujourd'hui, je ne le ferai plus pareil. Pour poser des menuiseries “en applique”, on va plutôt mettre des solutions de fixation au cœur du mur. On a développé justement avec Olivier Galand (20) et l’architecte Xavier Fouquet (21) sur le projet d'auvent de la gare de Dinan, des solutions où les linteaux sont cachés, on ne voit plus du tout les éléments en bois structurel. Au niveau réglementaire et patrimonial, la double carré de chêne répond positivement aux demandes des architecte-conseil (22) des communes pour restituer ces éléments patrimoniaux. Cela fait partie du paysage constructif local et de l’architecture vernaculaire.

Comment arrives-tu à convaincre les maîtrises d’ouvrage d’utiliser la bauge ?

Je dirais que je ne les convaincs pas. C'est un peu bizarre de dire ça, mais je ne suis pas là pour convaincre, si les personnes viennent me voir, c'est parce qu'elles ont déjà le désir de construire en bauge. Lorsqu’on travaille sur les secteur sauvegardés de Rennes ou de Dinan, le règlement indique très clairement que les bâtiments doivent être restaurés, particulièrement ceux qui ont une valeur patrimoniale très forte. Si on a un patrimoine en torchis, on restitue du torchis. Sur les secteurs sauvegardés (23) de Rennes et Dinan, l'architecte des bâtiments de France (ABF) (24) sera notre principal partenaire pour soutenir l'utilisation de la terre. Sur tout ce qui est bassin rennais où l’on travaille avec les particuliers, je ne propose que de la terre. J’ai fait le choix dès le départ de me spécialiser dans la construction en terre crue. Au début, je n'avais pas du tout de réseau et je ne connaissais pas grand monde, j'étais juste allée voir quelques maçons. J'ai commencé par créer un site Internet qui expliquait un petit peu ma démarche, qui mettait des photos, qui donnait aussi des astuces sur la mise en œuvre du matériau. J'ai commencé à avoir mes premiers clients qui sont venus via ce site Internet et également via le "bouche à oreille" parce que je suis allée sur des chantiers participatifs, j'allais expliquer ce que je faisais, ma formation, mes compétences. 

 

Maintenant, je dirais que les personnes viennent parce qu'elles ont envie de faire de la terre crue, et qu'elles me rencontrent parce que je me suis positionnée en tant qu'experte en terre crue. J'ai développé ça au moment de mon habilitation à la maîtrise d'œuvre en nom propre (HMONP). J'ai fait ma formation en 2013 à l'École d'architecture de Nantes sur la maîtrise d'œuvre en architecture de terre. J'ai passé du temps à réfléchir à tout ça et justement, au moment de mon jury, il y a eu tout un débat sur « Est-ce qu'il vaut mieux être architecte généraliste et emmener les gens vers la terre crue ou est-ce qu'il vaut mieux être spécialiste ? » Clairement, ma posture était de se positionner en tant que spécialiste. Selon moi, quand on est médecin, si on est gériatre, on ne peut pas non plus être chirurgien ou alors s'occuper aussi bien des genoux que des yeux..L'idée était de se spécialiser pour donner envie aux gens de venir. 

 

J’ai la chance, en Bretagne, d'avoir un tissu associatif qui a déjà fait beaucoup de travail depuis de nombreuses années, des dizaines d'années même.J'en parle souvent, mais je pense à Tiez Breiz, qui a permis quand même de sensibiliser le grand public. Aujourd'hui, les gens connaissent de mieux en mieux le matériau et donc ils viennent un petit peu naturellement en tapant sur Internet « architecture de terre ».

16.  Écobatys accompagne tous les acteurs de la filière bâtiment dans sa transition énergétique et son évolution vers une économie sobre en carbone et en ressources. Afin de mener à bien ces objectifs, nous nous appuyons sur les valeurs de la coopération, de l'innovation, de l'éthique et de l'apprentissage. 

17.  Noria Formation est une association créée en 2006, anciennement connue sous le nom de Noria & Compagnie dont l’activité principale est la formation professionnelle continue dédiée à l’éco-construction et au bio-climatisme.

18.  La terre à bâtir est prélevée sous la couche de terre arable et étalée sur le sol, à proximité du chantier. La terre est humidifiée et mélangée à de la paille au moyen d’une fourche, puis foulée au pied pour obtenir un mélange plastique. Des pains de terre sont ensuite prélevés avec la fourche et empilés pour monter la première levée de mur, qui fait 50 à 60 cm d’épaisseur sur 50 à 70 cm de hauteur environ. Les parements sont le plus souvent battus afin de chasser l’air et leur donner plus de cohésion, et enfin retaillés avec un outil tranchant. Après quelque temps de séchage, l’opération est répétée pour constituer la levée supérieure. Les parements reçoivent enfin un enduit de protection en terre.

19.  Ghislain Maetz, artisan terre crue, maçonnerie en Ille-et-Vilaine, EIRL Terre Crue

Figure 9. Axonométrie expliquant le fonctionnement d'une double carré de chêne. © Mickaël Delagrée et Robert Junalik

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Figure 10. Olivier Galand sur le projet de Auvent de la gare de Dinan. architecte Xavier Fouquet, entreprise Terra Architecteur © Le Petit Bleu des Côtes d’Armor)

20. Olivier Galand, spécialiste en maçonnerie du bâti ancien et écoconstruction.

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Peux-tu nous expliquer un peu l'association Tiez Breiz ?

 

Tiez Breiz est une association qui existe depuis plus de 40 ans en charge de la sauvegarde et de la protection du patrimoine breton. À l'origine, elle faisait partie de Maisons de Paysannes de France (MPF) (25) puis a été créée l'association en charge des cinq départements de la Bretagne historique. L’association a pour but de sauvegarder la culture constructive, de mettre en valeur le patrimoine matériel et immatériel. Il y a des conférences, des stages pour apprendre à faire par soi-même. Il m'arrive d'envoyer mes maîtres d'ouvrage sur ces stages par exemple d’enduits terre ou de plancher quenouilles de torchis (26). L’association organise également des expositions et transmet la culture constructive au travers de visites de site, comme pour le Presbytère en bauge de la commune d'Irodouër. Ces visites permettent de donner envie aux habitants de comprendre que c'est un patrimoine exceptionnel à préserver.

Figure 11. Atelier ALP - Pôle inter entreprise de construction terre crue bretagne - dessin de conception du projet.Géminé

25. Association nationale de sauvegarde du patrimoine rural bâti et paysager reconnue d’utilité publique. https://maisons-paysannes.org/

26.  Un plancher à quenouilles est une structure en bois entre laquelle sont disposées des barreaux (ou fusées) de châtaignier ou bois local enrobés de torchis (mélange terre d'argile, eau et foin) faisant office de hourdis. 

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Figure 12. Départements de la Bretagne historique.

Tu fais beaucoup de réhabilitations de bâtiments anciens, peux-tu nous parler des pathologies les plus fréquentes auxquelles tu es confronté sur les bâtiments en terre ?

Les pathologies sont des sources d'informations très importantes pour la construction neuve. Elles nous enseignent les bonnes manières de construire. Souvent on retrouve des pathologies dites « humides » liées à des excès d'humidité. Il faut toujours avoir en tête cette règle lorsqu’on construit en terre : "bonnes bottes & bon chapeau". 

 

En premier lieu, clairement, avoir une couverture qui fuit ou des gouttières qui ne sont pas raccordées, créent des problèmes sur les bâtiments en terre, et également sur les charpentes de bois qui sont associées. Lorsqu’on a un chaînage en tête de mur qui est plein d'eau et que le bois se désagrège, le mur tient moins bien et s’abîme. Il faut également bien évacuer l'eau de pluie, avoir une bonne toiture bien entretenue. Pour la pérennité du bâti ces règles sont essentielles. Ensuite, on a aussi souvent des remontées capillaires, des remontées d'humidité liées au sol. On a des pathologies qui sont liées à des mauvaises pratiques d'entretien. Malheureusement, au cours du XXème siècle on a posé beaucoup d'enduit ciment très imperméables sur des murs en terre. Couramment, on peut retrouver aussi un solin (27) de cheminée un peu fuyard, qui laisse donc passer un peu d’eau. A partir du moment où on a un enduit ciment et que l’eau rentre, la terre ne peut plus sécher et on a des risques de pathologies. 

 

Il m’est arrivé à deux reprises de venir faire de la reconstruction suite à des effondrements: effondrement de pignons à cause d'un excès d'humidité lié à des mauvaises pratiques d'entretien. Les enduits ciment, c'est vraiment une plaie par rapport aux bâtis anciens en terre, en particulier l'enduit extérieur. Dans les caves ou en pied de façade, on peut aussi avoir des remontées capillaires souvent renforcées par l’imperméabilisation des sols alentour. Que ce soit le sol intérieur, la dalle béton de la cave, ou le sol extérieur en bitume, l'imperméabilisation des abords va renforcer les remontées capillaires dans le mur ancien en terre et aggraver ces remontées qui peuvent causer des dégâts, d'autant plus s'il y a un enduit ciment. Sur le bâti ancien, il faut être très vigilant à une bonne gestion de l'hygrométrie et faire que le mur sèche bien, avoir des abords qui sont perspirants, c’est très important. C'est vraiment les principales pathologies. 

 

On retrouve aussi d’autres pathologies structurelles comme des tassements différentiels, des sols qui peuvent avoir légèrement bougés ou des problèmes de chaînage, mais c'est beaucoup plus rare. J'ai vu aussi des pathologies liées au fait que parfois les murs sont trop longs, supérieur à 25 mètres, et sans renfort, sans contreventement. On retrouve donc aussi des défauts de conception initiale. Cette situation est assez rare, car la sélection naturelle fait qu’après 100 ans, il ne reste que les bâtiments bien conçus. Pour conclure, je dirais que la pérennité d'un bâtiment est beaucoup liée à la capacité d'entretien aussi des propriétaires, d'entretien de la toiture et perspirance des parois.

27. Un plancher à quenouilles est une structure en bois entre laquelle sont disposées des barreaux (ou fusées) de châtaignier ou bois local enrobés de torchis (mélange terre d'argile, eau et foin) faisant office de hourdis. 

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Que penses-tu de la massification du logement en terre crue ? Est-ce envisageable de penser du logement collectif neuf en terre crue en centre urbain ?

La vraie question est plutôt comment peut-on loger aussi les habitants dans les villes avec l'architecture de terre? Moi, j'ai tendance à regarder le patrimoine. Sur le centre ville de Rennes, on a des exemples en torchis. C'est une ossature porteuse en chêne avec des remplissages en terre, des enduits de terre qui vont permettre de monter assez haut avec des murs relativement fins. L'intérêt aussi de l'ossature bois associée à la terre, c'est tout ce qui est préfabrication. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'en milieu urbain, on a très peu de place sur les terrains et qu'il faut que ça soit assez rapide. Les anciens montaient le pan de bois (28) dans l’atelier de charpente, préparaient le bois en amont, numérotaient les pièces avec des traits de charpentier et montaient le tout sur le site du chantier. Les remplissages en terre venaient dans un second temps avec des enduits intérieurs. On peut loger beaucoup de gens en centre-ville, avec des matériaux locaux et écologiques. Le centre-ville de Rennes est un bon exemple, mais on retrouve ces systèmes constructifs dans d’autres villes de France comme Strasbourg. Aujourd'hui, il y a beaucoup de questions sur comment intégrer des logements neufs urbains dans nos villes avec des matériaux naturels. 

 

Selon moi, il me paraît judicieux d'aller autant vers la valorisation des savoirs des artisans sur des enduits, des remplissages, mais en même temps, si on veut faire beaucoup de quantités, il faut aussi pouvoir avoir des matériaux qui soient en filière sèche, préfabriqués et prêts à mettre en œuvre. L'association de la terre avec des matériaux de structure, que ce soit le bois me paraît très pertinente, comme l'association de la terre avec des fibres naturelles pour avoir une isolation thermique performante. 

Figure 13. Chantier de construction d’un bâtiment en bauge. Tiez Breiz - n°34 - 2015. p7 

28. Le pan de bois est un ouvrage de charpenterie composé de sablières hautes et basses, de poteaux de décharges et de tournisses formant un mur de bois. Les pans de bois intégraient des colombages, colombes et colombelles, dans la maison à colombages. L’exactitude lexicale et, surtout, historique, amène à préciser que l’appellation actuelle « maison à colombages » se disait autrefois à pan de bois. 

Antoine Basile - Architecte des patrimoines - juillet 2023

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