Didier Respaud-Bouny
Au Pays des Pierres
Architecte-conseil au CAUE de Vaucluse depuis 2007, en charge des questions pierre sèche pour le département de Vaucluse, il coordonne le programme REPPIS, réseau européen des pays de la pierre sèche. et conseille les maires et les particuliers dans la délivrance des permis de construire sur 23 communes en Luberon et Monts de Vaucluse. Il développe un regard éveillé sur les notions de “petit” patrimoine et d’infrastructure en pierre sèche.
Peux-tu te présenter en quelques mots s’il te plaît ?
Je m’appelle Didier Respaud-Bouny, je suis architecte-conseil (1) au CAUE de Vaucluse (2). Mon rôle est de conseiller les maires et les particuliers dans les communes du Vaucluse. Nous sommes actuellement une dizaine d’architectes conseils pour assurer cette mission dans le département.
Est-ce que tu peux nous expliquer un peu le quotidien d’un architecte conseil ?
J’ai la chance de m’occuper de 18 villages autour de la ville d’Apt, essentiellement sur le territoire du PNR du Luberon et sur le plateau de Sault au pied du Mont Ventoux. Je m’occupe donc d’une grande variété de paysages différents.
La mission première d’un architecte conseil est d’assister le maire dans la délivrance des permis de construire. Le code de l’urbanisme donne au maire le dernier mot en matière de paysage et d’architecture lors de la délivrance d’un permis de construire. En tant que représentant élu par la population, il peut arbitrer et choisir si un projet d’architecture porte atteinte au patrimoine, au paysage naturel, et plus globalement au reste du territoire communal.
Dans cet arbitrage, la présence d’un architecte conseil est nécessaire pour apporter des arguments, des clés de lecture et faciliter les prises de décision. L’architecte conseil réalise également des permanences auprès du public pour expliquer l’urbanisme de la commune en matière d’architecture et de paysage afin que les projets des particuliers puissent intégrer dès l’origine (au moment du PC (3) ou DP(4)), les qualités architecturales et paysagères nécessaires.
Que représente la construction en pierre sèche selon toi ?
Je dirais que je suis né dans la pierre sèche. Rétrospectivement, si je regarde mon parcours, j’ai eu la chance lors de mes études d’architecture de rencontrer l’association APARE (5) dans le département du Vaucluse.
Cette association œuvre en faveur de la pierre sèche et m’a permis de réaliser des inventaires des bergeries (6) de la montagne de Lure. Ce travail m’a passionné et mon intérêt pour les constructions en pierre sèche ne m’a jamais quitté.
Au sein de l’agence paysage d’Avignon dans laquelle j’ai travaillé de nombreuses années, au côté du PNR du Luberon, nous avons assuré une assistance technique dans le cadre du programme : REPPIS (7) (réseaux européens des pays de la pierre sèche), de 1996 à 2000.
Ce réseau européen a été initié par le PNR du Luberon auprès d’autres collectivités d’Europe, je citerai la région de Zagoria (8) en Epire en Grèce, la région des Pouilles en Italie, la région de Majorque en Espagne.
Toutes ces collectivités se sont unies pendant plusieurs années pour faire émerger une conscience de la pierre sèche.
Des professionnels existaient de façon disparate, des scientifiques, des associations, des muraillers, qui travaillaient sur le sujet sans former un réel réseau d’échange et de communication auprès des populations.
Nous avons impulsé un partage de connaissances sur les différentes techniques de mise en œuvre et l’emploi de divers matériaux. Ce partage a été un point de départ qui a débuté et j’en suis fier dans le Vaucluse. J’ai eu la chance d’être un des premiers animateurs de cette redécouverte des savoir-faire avec d’autres personnages clés comme Patrick Cohen, maintenant responsable du pôle culturel du PNR du Luberon.
Par la suite, le mouvement s’est accentué, le public a pris conscience de l’intérêt du recours à la construction en pierre sèche et de son utilité au-delà du côté pittoresque de cette architecture vernaculaire. La vraie valeur de la construction en pierre sèche est multiple pour la gestion de nos paysages méditerranéens: le matériau est réemployable à l’infini, les murs de restanque facilitent l’écoulement des eaux, les constructions résistent bien au soutènement des talus routiers.
Il a fallu ensuite rencontrer le corps des ingénieurs pour écrire les règles de l’art et permettre une assurabilité des ouvrages: dimensionnement, techniques. Ces travaux de recherche ont permis de mieux comprendre le fonctionnement des structures en pierre sèche et de pouvoir garantir les ouvrages, les bâtir et les restaurer.
Le CAUE a dans ce cas réellement un rôle de conseil pour éveiller la conscience des élus et des particuliers à l’intérêt de conserver ce patrimoine et de l’entretenir.
Toute déclaration préalable à travaux, toute demande de permis de construire, doit intégrer ces notions de préservation du patrimoine en pierre sèche afin d’identifier sur chacun des terrains les constructions à préserver: des murets effondrés, les clapiers (9), les bories.
1. Le recrutement d'architectes conseils dans les collectivités participe à la recherche d'une meilleure qualité architecturale des projets. patrimoine historique, sa réhabilitation, que des législations qui portent sur l'urbanisme et les espaces protégés.
2. Le CAUE (conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement) est un organisme investi d’une mission d’intérêt public, né de la loi sur l’architecture du 3 janvier 1977.
Il a pour objectif de promouvoir la qualité de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement dans le territoire départemental. L’architecture, les paysages et le patrimoine sont d’intérêt public
3. PC: permis de construire
4. DP: déclaration préalable
7. Sous le sigle REPPIS, avait été mis en place, au tournant du siècle, un « Réseau des pays de la pierre sèche », financé par l’Union européenne. Défini comme « projet pilote de coopération interrégional de développement économique à vocation culturelle sur le thème mobilisateur du patrimoine et du travail de la pierre sèche », il regroupait quatre régions européennes : les Pouilles (pour l’Italie), l’Epire (pour la Grèce), les Baléares (pour l’Espagne), le Luberon (pour la France).
Figure 1. Région de l’Épire en Grèce.
9. Un clapier est un amas de pierres regroupées à dessein par l'Homme pour dégager un champ des roches les plus massives qui nuisent à ses qualités agricoles.
Figure 2. Ancien clapier agricole parementé à Cipières (Alpes-Maritimes). Les pierres proviennent du défonçage du sol rocheux en vue de la création d'une parcelle cultivée.
Nous essayons avec le CAUE d’identifier rapidement tous ces petits éléments qui font partie d’un patrimoine très riche qu’il faut préserver à chaque étape de la construction. Nous poussons également pour réaliser les travaux de restauration avec des personnes qualifiées puisque maintenant nous disposons d’artisans qualifiés. Tout notre travail est de rappeler que ces savoir-faire sont maintenant reconnus et qu’il faut faire appel aux professionnels pour restaurer et entretenir ce patrimoine.
Lorsqu’on parle de patrimoine en pierre sèche, de quoi parle-t-on exactement dans le Luberon?
L’essentiel du patrimoine en pierre sèche du Luberon est constitué d’ouvrages de soutènement. Nous nous situons dans un paysage de coteaux, de massifs et de pente. Les agriculteurs ont depuis longtemps travaillé ces reliefs pour les rendre praticables pour l’agriculture. Les habitants ont épierré les coteaux pour bénéficier de la terre végétale et ont utilisé les pierres pour adoucir les pentes et rendre les terrains plus accessibles.
Beaucoup de routes sont également soutenues par des murs de pierres sèches qui sont pour la plupart en très bon état, grâce à l’entretien des services départementaux.
A côté de ce patrimoine routier majeur, nous avons des cabanes appelées “bories” qui ont été bâties par des muraillers (10) avec l’aide des agriculteurs. L’épierrage des champs permettait de faire des abris dans les collines pour les éleveurs ou les outils pendant les mois de récolte et de transhumances. Les bories n’ont jamais été un habitat pérenne, mais plutôt des cabanes nombreuses accompagnées parfois d’enclos et à proximité d’aiguiers (11), c'est-à-dire de citernes creusées dans la roche mère, qui permettent de recueillir les eaux pluviales pour abreuver les animaux.
Figure 3. Mur de soubassement. Luberon. les Muraillers de Provence. Septembre 2022. © Atelier Géminé
10. Spécialiste des maçonneries à pierre sèche, le murailler intervient dans la construction et la restauration des murs de soutènement, de clôture et des bâtis. Il assemble des moellons tout-venant de pierre, bruts ou ébauchés, posés sans mortier.
11. L'aiguier, en Provence, est une citerne creusée dans la roche et voûtée de pierres, servant à recueillir les eaux de ruissellement. Les aiguiers sont situés sur les flancs des collines on en trouve au Nord-Est de Saint-Saturnin-lès-Apt , sur les communes de Villars, Gordes, Sault, mais aussi à Blauvac ,Ville sur Auzon,Monieux. Autour de ses bassins qui font entre 0,9 m et 2,2 m de profondeur on trouve des rigoles taillées dans la roche pour collecter les eaux de pluie. La tradition de creuser des citernes ou aiguiers est antérieure à la fin du XIXe siècle,
Figure 4. Aiguier près du hameau de Travignon, Saint-Saturnin-lès-Apt, PNR Luberon, Septembre 2022. © Atelier Géminé.
En quelle mesure les habitants sont sensibilisés aux constructions pierre sèche et quel impact a une construction en pierre sèche sur la volonté d’intervenir sur un terrain qui possède un patrimoine remarquable?
La sensibilisation des habitants au patrimoine en pierres sèches est très variable. Trop souvent la présence d’une borie sur un terrain privé est considérée comme une contrainte, parce que la restauration est un coût et nécessite un savoir-faire particulier. Parfois la tentation de laisser s’écrouler les ruines est forte.
Néanmoins, les mentalités évoluent et c’est aujourd’hui une fierté de posséder un tel patrimoine sur son terrain. Les gens sont fiers et perçoivent la qualité patrimoniale de ce petit patrimoine. là où le bât blesse, c’est lorsqu’on aborde le sujet des clôtures ou des murets en pierre sèche. Aujourd’hui, la culture de l’individualité incite à réaliser des clôtures hautes, plus sécuritaires…Les anciens murets en pierre sèche laissent place à des soubassements où surplombent des grillages. On voit aussi une tendance à habiller des murs de béton avec un appareillage de pierres pour imiter les murs de pierre sèche. Cette idée est encore très tenace malheureusement.
Figure 5. Coupe structurelle sur un mur de pierre sèche, Christian Lassure. CERAV
En tant que jeunes architectes nous nous questionnons sur les potentialités des matériaux naturels dans l’habitat, en quelle mesure la pierre sèche peut-elle devenir un support d’architecture habitée ? Cela a-t-il déjà existé ou est-ce un fantasme constructif ?
Nous avons peu d’exemples de construction en pierre sèche habitée de manière pérenne en Europe. L’exemple évident se situe dans la région des Pouilles en Italie, où les Trulli (12) sont enduites par l’intérieur pour créer l’étanchéité à l’air. Cette étanchéité permet l’habitabilité.
Selon moi, une construction en pierre sèche du Luberon n’est pas habitable, parce qu’elle est complètement perméable à l’air. S’il y a du vent on va sentir le vent, s’il y un vent humide, l'humidité rentrera à l’intérieur de la maison. De plus, ce n’est absolument pas chauffable, on peut mettre un petit feu de bois, mais je pense que la sensation est comme sur un feu de camp, à l’extérieur. Ces cabanes, ou bories, qu’on peut trouver dans la région, étaient seulement utilisées pour séjourner en journée, pour se reposer, peut-être passer une nuit pendant les récoltes estivales.
Figure 6. appareillage d’un mur en arête-de-poisson. Auribeau. Septembre 2022. © Atelier Géminé.
La configuration de la couverture en encorbellement (13), l’orientation des lauses (14) qui composent la toiture rendent les cabanes hors d’eau. Ce sont donc des bâtiments qui protègent des intempéries, mais qui ont une fonction d’abris par de logement.
Concernant le potentiel d’avenir des constructions en pierre sèche, la question se pose de pouvoir intégrer à cette tradition vernaculaire une architecture plus contemporaine.
Le terme pierre sèche est parfois trop souvent utilisé, pour indiquer le parement de façades des maisons en pierre. On veut imiter des maisons bâties en pierre qui auraient perdu leur enduit. On sait aujourd’hui que toutes les constructions traditionnelles de la région étaient enduites mais si cela n’a pas été entretenu cet enduit est tombé. Et cette imagination en pierre sèche, est un travers de notre époque et peut laisser penser qu’on peut construire en pierre sèche dans les villages.
En pierre sèche, j’ai eu l’exemple d’aménagements muséographiques, tout particulièrement l'enclos des Ours du Zoo de Berne. On a une intervention d’architecture contemporaine qui permet d’accueillir à la fois les ours et les visiteurs.
Figure 7. Trullo. Relevé Christian Lassure. CERAV
13. En maçonnerie, « encorbellement » désignent toute saillie qui porte à faux au nu d'un mur, formée par une ou plusieurs pierres posées l'une sur l'autre, et plus saillantes les unes que les autres. Le principe de l'encorbellement permet de construire des voûtes ou des arcs dits en encorbellement, plus facilement que l'arc en plein cintre qui fait appel à des cintres en bois.
14. La lauze (lause, ou encore lave en Bourgogne, Franche-Comté, Champagne-Ardenne) est une pierre utilisée pour la couverture des toitures.
Selon moi, l’intérêt de la pierre sèche est d’intervenir aux abords des bâtiments qu’ils soient anciens ou contemporains. On peut trouver de la pierre sèche sur tout le pourtour méditerranéen, pas seulement dans les Pouilles mais également dans la région de Zagoria en Grèce. Dans les paysages du nord entre la Grèce et l’Albanie, on trouve également des villages où effectivement les maisons sont bâties avec des structures en pierre sèche, mais là encore il y a un enduit intérieur permettant l’étanchéité, effectivement c’est une alternative, mais cela reste des maisons trapues, basses à murs relativement épais.
Figure 8. Maison de la forêt aux ours du parc animalier Dählhölzli, Berne. Architectes: Architekturbüro, Patrick Thurston, Cyrill Pfenninge, Michael Wehrli. Construction de murs en pierre sèche: Stoneworks Lippert, Evilard.