Roger Mimo est un journaliste et écrivain espagnol établi au Maroc depuis plus de trois décennies. Résidant à Tinghir, son travail se concentre principalement sur l'inventaire et le développement de la connaissance sur l'habitat traditionnel et l'architecture en terre crue. Fortement engagé dans la préservation du patrimoine architectural local, Mimo a joué un rôle crucial dans la restauration de la Mosquée Ikelane, située dans le Ksar en ruine d'Afanour.
Bonjour, peux-tu te présenter s’il te plaît ?
Je suis Roger Mimo, je suis arrivé au Maroc, il y a une trentaine d'années, j'ai découvert un mode de vie traditionnel et une culture qui m'ont passionné.
Pendant mes études de journalisme en Espagne, je suis parti marcher dans les vallées de l'Atlas, j'ai découvert des modes de vie traditionnels qui m'ont beaucoup attiré et j'ai rapidement ressenti le besoin de m'installer ici et d'approfondir la connaissance de cette société.
Mes allers et retours entre le Maroc et l'Espagne m'ont permis d'approfondir mes recherches et d'écrire plusieurs livres. Malheureusement l'écriture ne me permettait pas de subvenir à mes besoins et j'ai cherché un milieu plus lucratif et je me suis donc consacré à l'hôtellerie.
Cette nouvelle activité m'a fait découvrir, un bâtiment en terre à savoir l'ancienne Kasbah de Cheikh Bassou (1), que j'ai transformé en hôtel. Cette expérience m'a permis d'apprendre les caractéristiques du patrimoine en terre marocain et est devenu le sujet principal de mon activité de recherche maintenant.
C’est devenu ma spécialité que j’ai appliquée maintenant au tourisme, en essayant de sauvegarder les constructions en terre abandonnées. Pour moi, le tourisme est une solution, ce n’est pas la solution idéale mais une solution parmi qui a le mérite de pouvoir préserver certains endroits.
1. Kasbah du Cheikh Bassou à Tinghir, actuellement hôtel de Tombouctou. https://www.rogermimo.com/Todra/fr-Cheikh-Bassou.html
Qu’est ce que l’architecture en terre évoque pour toi au Maroc ?
Pour moi, l'architecture en terre évoque une certaine forme de “vie traditionnelle”. L’histoire de ce pays est quelque chose qui me passionne profondément et que je porte en moi de façon très personnelle et je suis attristé de voir que ces modes de vie que j’affectionne particulièrement sont en train de disparaître, parce que les mœurs changent vites et la population est en quête d’une modernité. Je ne porte pas de jugement moral, la population a le droit de vouloir quitter cette vie traditionnelle, mais la conséquence est irrémédiable et de nombreux bâtiments sont abandonnés et se détériorent rapidement. Disparaissent également des façons de vivre et de s’habiller, des façons de manger et tout cela tombe dans l’oubli.
Pour lutter contre ce phénomène, j’ai essayé de sauver quelques choses, à travers le projet de restauration de la mosquée et medersa Ikelane à Tinghir, et le site web dans lequel je référence un certain nombre de patrimoine bâti, au minimum pour le transmettre aux générations futures.
C’est un phénomène que l’on retrouve dans de nombreux pays, à un moment donné de leur histoire, ils quittent leur tradition pour une modernité mais retournent toujours vers une “post-modernité” qui réinterprète la culture ancestrale. Lorsque ce moment arrivera, il faut que la population puisse retrouver les savoirs et avec mon travail d’inventaire j’espère pouvoir contribuer à ce phénomène de récupération.
Est-ce que tu trouves pertinent de revenir à la construction en terre aujourd’hui ?
Oui je trouve ce choix pertinent, d’autant que le matériau en terre en soi possède des caractéristiques thermiques très appréciables, bien plus que celles du béton. C’est également un matériau écologique, que l’on peut récupérer et réemployer à l’infini. En effet, si le bâtiment en terre se désagrège et n’est plus entretenu, alors il revient à la terre où il a été construit sans laisser aucun déchet, ni aucune trace. Qui plus est, le matériau est économique, on parle parfois de huit fois plus d'économie que le matériau béton. Et pour finir et non des moindres, le matériau terre crée de belles architectures très agréables à vivre et à regarder.
Figure 1. Palmeraie de Todra, Tinghir. 2021
La terre peut s’adapter aux milieux urbains aujourd’hui ?
Oui, les constructions en terre en ville existent depuis des siècles, comme à Marrakech. Dans beaucoup de villes la construction en terre crue était le mode de construction le plus répandu.
Figure 2. La mosquée et medersa, ,palmeraie de Todra, Tinghir. août 2021
Pour parler de la densité en milieu urbain, as-tu des exemples d'immeubles de grande hauteur ?
Au Maroc, il existe des constructions en terre qui atteignent presque 18 mètres de hauteur, au Yémen, cela peut monter bien plus haut, en particulier dans la région de Sanaa mais avec des techniques différentes. Maintenant, il existe de nouvelles techniques constructives en terre, comme la terre comprimée avec des machines pour créer des briques qu’on appelle B.T.C (3).
Les gens pensent souvent que les bâtiments en terre sont assez fragiles, est-ce une idée reçue ou est-ce que c’est vrai ?
La terre peut durer des siècles et des siècles, mais à la condition d’un entretien. La terre est un matériau vivant, lorsqu’on habite une maison en terre, on sait que dès qu’il y a une petite fuite il faut intervenir rapidement, sinon les dégâts seront importants.
Si l’on conserve un entretien rigoureux, la terre peut durer plus longtemps que le béton. Au Maroc, il existe des bâtiments qui ont sept ou huit siècles. En Égypte, certains bâtiments ont plusieurs millénaires. La terre n’a pas de limite d’âge.
Peux-tu nous expliquer dans quel endroit nous trouvons-nous actuellement?
Nous nous trouvons actuellement dans la mosquée et medersa (4) Ikelane (5) à Tinghir qui est un quartier dans le village désert d’Afanour. Ce village fortifié contenait quatre clans différents qui chacun avait une mosquée. Cette mosquée appartenait au clan Ikelane, elle était la plus grande de toute la vallée de Toudra (6), les étudiants venaient apprendre le coran de toute la région. Ils venaient faire leur classe, apprendre la prière et logeaient dans le même bâtiment.
Figure 3. Immeubles et constructions urbaines traditionnelle, Sanaa, Yémen.
3. Brique de terre comprimée
4. Une médersa, ou madrassa, ou école coranique, est une université théologique musulmane
5. Mosquée Ikelane, Roger Mimo
6. La vallée du Toudra à Tinghir, à 168km de Ouarzazate et à 160km d'Erfouf (Maroc), s'étend tout au long de l'oued du même nom sur une cinquantaine de kilomètres formant ainsi une oasis aux couleurs enchanteresses. L'oued prend sa source au pied de Haut Atlas pour se perdre dans le desert du sahara.
Cette mosquée a été utilisée comme école jusqu’à la moitié du XXième siècle et comme mosquée de quartier jusqu’à la fin du XXIème siècle. Dans les années 2000, une mosquée en béton plus grande a été construite à côté de la route principale, toute la population avait déjà abandonné le village. C’est à partir de cette période que le bâtiment a commencé à tomber en ruines. J’ai proposé à cette période à l'association locale du village d’Afanour de restaurer la mosquée, en lui donnant une nouvelle fonction touristique. Cette option est arrivée en urgence pour trouver des financements. En 2006 des pluies très fortes ont endommagé la toiture du bâtiment qui s’est effondrée, les fonds n’étaient pas suffisants, nous avons donc réorienté nos recherches de financements pour une association espagnole. En 2007 la plupart du bâtiment était restauré et ouvert aux visiteurs.
Figure 4. Chantier, hôtel Tombouctou, photographie Roger Mimo.
Peux-tu nous parler de ta démarche d’inventorier et de répertorier le patrimoine ?
Écrire est ma passion depuis mon enfance, c’est pour cela que j’ai fait des études de journalisme. C’est dans la lecture que j’ai découvert les voyages, l'Afrique et le Maroc. Au départ, j’ai réalisé des guides touristiques, des guides montages, des guides culturels puis je me suis lancé sur des récits de voyages en écrivant un roman. Après 2010, la concurrence d’internet était trop rude et comme j’avais récolté énormément d’informations sur la route des mille Kasbahs, j’ai pensé centraliser les données dans un site internet facilement consultable par tous. Ce travail je le fais par passion et pour partager ces renseignements aux générations futures. Les frais ont été financé par l’hôtel de Tombouktou (7), implanté dans l’ancienne Kasbah Cheikh Bassou.
Figure 5. Chantier, hôtel Tombouctou, photographie Roger Mimo.
7. Hôtel Tombouktou, Tinghir
Comment effectues-tu le repérage des Kasbahs ?
Voilà de nombreuses années maintenant que j’effectue ce travail de recherche, pour mon compte mais également pour le compte du ministère du tourisme. Je profite de chaque moment pour approfondir mes recherches, en annotant, faisant des photos, des relevés. Je prépare actuellement un livre sur le sujet qui synthétise tout ce travail.
Figure 6. Ksar Afanour à Tinghir, aujourd'hui abandonné. 2021
A quoi sont destinées ces données? Est-ce une bouteille à la mer ?
Toutes ces données peuvent servir gratuitement, à n’importe qui voulant restaurer un bâtiment. Lorsqu’on pense à la restauration, la première chose à faire est de connaître le patrimoine qui mérite d’être restauré. Une fois que l’inventaire est réalisé, il faut se soucier de chercher les propriétaires des édifices, savoir s’ils appartiennent au domaine privé ou au domaine public. Tous ces renseignements que j’ai accumulés au fil des années peuvent servir à l’Etat par exemple ou aux institutions, et même aux investisseurs privés s’ils veulent investir dans du patrimoine encore récupérable.
Figure 7. Blocs d'adobes dans le vieux quartier juif de Tinghir. 2021
Est-ce qu’il y a encore un espoir pour que les habitants du Maroc se réapproprient ce patrimoine en terre, ou bien sommes nous condamnés à voir se patrimoine tomber dans l’oubli ?
90% de la population ne s’intéresse plus à ce patrimoine traditionnel. La modernité a changé les valeurs, il faut construire en béton maintenant. De nombreux immigrés, qui travaillent en Europe, envoient de l’argent et font construire des maisons en béton avec une grande façade principale démonstrative.
Si un marocain revient au pays après avoir travaillé dix ans en France ou en Espagne, il se doit de construire une maison en béton, il y a une pression sociale de la réussite.
Figure 8. Ksar Afanour, aujourd'hui abandonné. 2021
Tout le monde construit en béton maintenant, hormis dans quelques vallées encore préservées. Dans les vallées de l’oued (8) Mgoun ou bien vers Aït Bouguemez dans le haut atlas, des habitants possèdent encore les savoir-faire de la construction traditionnelle en terre. Ces vallées sont encore éloignées des routes principales et donc moins influencées par les modes de vie occidentaux. Malheureusement, l’argent est en train d’arriver dans ces endroits encore reculés, le tourisme de masse également et les mentalités changent.
Dans la vallée de Mgoun, il y a une dizaine d’années, j’étais heureux de voir que tous les bâtiments étaient encore traditionnels et en terre. Aujourd’hui, il y a déjà 15% des bâtiments qui sont en béton. A ce rythme là, je ne sais pas si dans une dizaine d’années il restera du patrimoine en terre.
Le problème c’est que probablement dans une dizaine d’années, les nouvelles générations voudront revenir à l’architecture en terre mais que la plupart du patrimoine aura disparu.
C’est un phénomène qui arrive souvent, les populations gagnent de l’argent et ils recherchent la modernité, ils associent alors tradition et pauvreté, parce que lorsqu’ils étaient pauvres, ils construisaient sur le modèle traditionnel. Pour se démarquer et montrer que l’on a évolué socialement, il faut utiliser d’autres techniques de construction.
C’est pour moi une erreur fondamentale, mais seule la deuxième, voire la troisième génération le découvre. C’est en train de se passer dans le sud du Maroc, il faudra juste que lorsque ces nouvelles générations arriveront, elles pourront retrouver les savoir-faire et les techniques traditionnelles.
Figure 9. Détail d'acrotère, terre, ornement d'acrotère hôtel Tombouctou, Tinghir, 2021
8. Un oued est un terme générique désignant un fleuve d'Afrique du Nord ou du Moyen Orient et des régions semi désertiques à régime hydrologique très irrégulier.
Comment protéger ce patrimoine sans le mettre “sous cloche” ? Le tourisme est-il l’unique levier de revalorisation ?
Avec le tourisme, on peut sauver rapidement des bâtiments en péril, mais on ne peut pas sauver un village entier. Le tourisme permet de sauver les bâtiments de haute valeur artistique et historique. Ainsi, on peut sauver les palais, maisons seigneuriales en créant des hôtels, on peut également entretenir les anciens greniers collectifs. La manne du tourisme permet aux habitants d’entretenir ces endroits et de créer un attrait touristique.
Cette solution touristique permet donc d’entretenir le patrimoine extraordinaire, pour le patrimoine ordinaire, je n’ai pas la solution. Le tourisme ne peut pas le sauver et les gens ne comprennent pas cela.
L’individualisme gagne du terrain, on veut à la fois protéger l’identité de la vallée, et en même temps faire construire sa maison en parpaing et en ciment. C’est une contradiction insolvable.
Figure 10. Au cœur de la palmeraie de Todra avec Roger Mimo.
Quelle est la valeur du patrimoine qu'il faudrait essayer de conserver et de transmettre aux habitants du Maroc ?
Le patrimoine marocain a une valeur artistique et historique. Ces deux valeurs touchent les gens et donnent une certaine sécurité au patrimoine. Tout ce qui ne représente plus cela auprès du grand public perd légitimité et en crédibilité, alors on se met à abandonner les villages et les ksour. Cette légitimité n’est pas quelque chose de matériel et de tangible.
Je suis assez pessimiste pour ce qui touche à la perception du patrimoine au Maroc. Cela va prendre encore du temps, trop de temps même avant qu’il ne reste plus rien. Dans les vingt ou trente prochaines années, 90% des villages en terre sont condamnés à disparaître.
Figure 11. Au cœur de village abandonné d'fanour.
Il y a aussi une valeur culturelle identitaire, dans le sens ou c’est quelque chose qui représente la culture marocaine, est-ce que cela pose aussi une question de rapport avec cette identité là, qui justement manque pour garder ce lien avec le patrimoine ? Beaucoup de gens voient cela comme quelque chose du passé qu’il faut abandonner, est-ce qu’il y a une rupture culturelle dans ce phénomène là ?
Oui clairement, il existe une rupture. Maintenant le mode de vie est occidental. Tout le monde ou presque recherche ce modèle. La façon de vivre occidentale annihile le mode traditionnel et nous sommes impuissants pour endiguer ce phénomène. Si les gens désirent un mode de vie occidental, c’est totalement leur droit, comment les empêcher. Ces vallées sont fragiles et changent rapidement avec l’arrivée des moyens de télécommunication, internet les mentalités évoluent.
Figure 12. Entretien avec Roger Mimo,
On a l'impression au Maroc, aujourd’hui qu’il y a deux types de constructions, des construction traditionnelles d’abord comme dans la vallée d’Ait Bougenmaz, et de l’autre côté des constructions plus contemporaines avec des valeurs plus “écologiques et on a deux catégories de populations assez éloignées qui participent au même mouvement, est-ce qu’il y aurait un moyen de les rassembler ?
Je ne comprends pas pourquoi il faudrait les rassembler. Ce sont des dynamiques très différentes, des extrêmes je dirais même. Les gens qui vivent encore dans les maisons anciennes traditionnelles vont peut-être y rester ou bien choisir de ne plus y vivre pour des maisons en parpaings. Les classes supérieures ont déjà dépassé un autre stade, celui de l'obsession pour la modernité, ils ne veulent plus montrer qu’ils ont gagné de l’argent mais préfèrent s’engager dans la construction en terre pour d’autres raisons écologiques, esthétiques. Ce sont des dynamiques très différentes qui existent de manière séparée et qui n’ont pas besoin qu’on les rassemble.
Figure 13. Village abandonné d'Afanour, 2021.
Au Maroc finalement qu’est ce qui t’intéresse le plus, l’architecture en terre ou les modes de vie traditionnels ?
Cela ne m'intéresse pas l'architecture séparée de la vie. L’architecture se définit en fonction de la vie qui se déroule à l’intérieur du bâtiment. Le bâtiment tout seul, sans habitants, cela ne sert à rien, c’est une coquille vide complètement morte.
C’est vrai que lorsqu’on trouve une nouvelle fonction à un bâtiment pour le préserver, il perd un peu de son caractère initial, mais cela le rend extrêmement vivant. L’idée serait de conserver le patrimoine vivant, mais cela n’est pas toujours possible malheureusement. Si je vois un bâtiment investi d’un nouvel usage et d’une nouvelle fonction je suis heureux, mais si je vois un bâtiment qui est conservé par les mêmes habitants d’origine, qui lui donnent encore une fonction traditionnelle, je suis encore plus heureux.
Figure 14. Kasbah traditionnelle.