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Il travaille comme architecte conseil du PNR du Cotentin et du Bessin. Investit dans le projet Cobbauge, il réalise un prototype et réfléchit à la préfabrication de la bauge dans la construction. Il enseigne la maîtrise des ambiances, l’éco-conception et l’expérimentation constructive à échelle 1, à l’ENSA de Normandie.

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Peux-tu te présenter ?

Je suis architecte de formation et chargé de mission éco matériaux et éco construction au sein du parc naturel régional des Marais du Cotentin et du Bessin (1). Je travaille sur les éco matériaux, mais historiquement, ma mission de base au parc a été de travailler sur la construction en terre et la construction en bauge (2) en particulier, qui est une des techniques constructives emblématiques du territoire du parc (3), avec la construction en pierre sur certains bassins et puis la reconstruction des années 1950 liée au deuxième conflit mondial. 

Comment je suis arrivé à la construction en terre ? Lors de mon service militaire, j’ai choisi de ne pas porter les armes, j'ai fait un service long d'objecteur de conscience au sein du CAUE de la Manche (4) qui travaillait à l'époque en partenariat avec le parc naturel sur la mise en place d'une politique de sauvegarde du patrimoine bâti en terre. Par la suite, j'ai été recruté par le CAUE pour faire le travail de diagnostic et d'accompagnement des propriétaires et des entreprises sur la rénovation du patrimoine en bauge.

 

Je me suis formé vraiment en autodidacte car la culture constructive de la terre crue n’était pas enseignée à mon époque dans les écoles d’architecture. Le patrimoine était assez peu abordé et c’est vraiment mon travail au CAUE, qui m’a fait découvrir la terre crue et qui a fait naître en moi le désir de valoriser l’emploi de ce matériau dans la construction.

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​2. La bauge est un système de construction monolithique en terre crue empilée. La terre est dans un état plastique, généralement mélangée à des fibres végétales. Les surfaces verticales sont dressées par découpe après un court temps de séchage, alors que le matériau n'est pas trop dur.

3. Région Basse-Normandie. Direction de l’Inventaire général du patrimoine culturel.

Figure 1. Presbytère dans le Cotentin

© M.Derugy.

Quel est ton rôle au sein du PNR ? Et quel rôle a le PNR dans la préservation des savoir-faire et des techniques ?

Mon rôle au sein du parc a d'abord concerné le patrimoine bâti en terre, qui est un patrimoine emblématique de la région. J'ai été principalement recruté pour la sauvegarde de ce patrimoine. La sauvegarde à la fois des bâtiments via des aides financières que le parc apporte aux entreprises et aux propriétaires (5) et un conseil technique pour ceux qui engagent ces travaux de rénovation. Cette mission a évolué ces dix dernières années vers l'écoconstruction et la recherche des ressources du territoire qui permettent de construire différemment aujourd'hui, notamment dans le contexte du réchauffement climatique et des besoins de limiter les émissions de CO₂ dans le secteur du bâtiment.

Que signifie le terme « éco construction » selon toi ? 

L'écoconstruction (6), c'est l'usage intelligent des ressources locales pour mieux construire, de manière à créer un habitat plus sain. Peut-être un peu de notion de "low tech" (7), c'est-à-dire essayer de profiter au maximum des propriétés des matériaux pour éviter d'avoir recours systématiquement à la mécanique, à la consommation d'énergie pour régler le confort intérieur. Cette vision fait appel aussi à la conception des bâtiments et à l'usage intelligent de l'environnement. Il s'agit de veiller à ce que les matériaux et les principes de mise en œuvre soient les moins émissifs possibles en gaz à effet de serre et les moins consommateurs d'énergie. C'est pour moi un ensemble de choses, les matériaux, l'environnement dans lequel on vit et également la manière de construire.

Figure 2. Maison des Marais ©  F. Decaens

6. L'écoconstruction est la création, la restauration, la rénovation ou la réhabilitation d'un bâtiment en lui permettant de respecter au mieux l'écologie à chaque étape de la construction, et plus tard, de son utilisation. Cette notion, apparue à la fin des années 1940 cherche aussi à intégrer le plus respectueusement possible le bâti dans le milieu naturel en utilisant au mieux des ressources peu transformées, locales, saines, et dans le milieu urbain, de travail ou rural en favorisant les liens sociaux. 

7. La low-tech (de l'anglais low technology, basse technologie en français) est un ensemble de techniques, objets, services, systèmes, pratiques, modes de vie ou encore courants de pensées simples et à la portée de tous.

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Quelles sont les caractéristiques constructives du territoire du PNR ? Peux-tu nous parler de ces ressources et de ce patrimoine architectural ?

On est sur un territoire de marais avec assez peu de ressources en bois. Vous voyez que le vent qu'on a aujourd'hui, les bois poussent de manière assez "tors", donc pas forcément des bois d'œuvre faciles à utiliser. Les ressources en pierre sont assez variables suivant les secteurs sur lesquels on est. Là, on est en plein cœur de marais (8), la ressource en pierre est quasi inexistante. Par contre, on a de la terre à profusion, c'est une des ressources qui a été utilisée par le passé abondamment pour construire les fermes et les exploitations agricoles. 

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8. Les marais du Cotentin et du Bessin au cœur du Parc naturel régional sont l’une des plus grandes zones humides de France. Une vaste zone de 30 000 hectares de marais composée des vallées de cinq fleuves, et leurs affluents. L’Aure, la Vire, la Taute et la Douve convergeant en baie des Veys à l’Est et l’Ay se jetant à l’Ouest. À ces vallées, dans les terres, s’ajoute une longue bande de marais à l’arrière du littoral de la Côte Est du Cotentin. Dès les premières pluies d’automne, les niveaux des rivières des marais montent et l’eau envahit progressivement les fonds de vallées et recouvrent les prairies. C’est la blanchie. Ce phénomène naturel est lié à l’abondance des précipitations et culmine au cœur de l’hiver (phénomène aléatoire).Lorsque les prairies se couvrent d’eau, on dit que les marais « blanchissent » et l’expression presqu’île du Cotentin prend alors tout son sens.

Figure 4. Bois anémomorphose - dieppe - normandie - pierre-yves brand

Cette ressource constitue aujourd'hui quelque chose d'intéressant à réexploiter, à réinterpréter pour construire le neuf dont on peut avoir besoin. On a ces ressources minérales qui sont très présentes et on a aussi un potentiel végétal, particulièrement en fibres, toute la végétation qui pousse dans les marais, que ce soit le roseau, les joncs, d'autres herbes qu'on a pu étudier comme la marisque (9), par exemple, sont des fibres qu'on n'exploite plus forcément aujourd'hui, mais qui pourraient très bien retrouver un usage dans le mode constructif moderne. Ce sont des matériaux, des végétaux qu'on a pu utiliser par le passé, qui sont peu exploités aujourd'hui et qui pourraient constituer une matière première valorisable dans la construction contemporaine. 

9. Les marais à Marisque. Les cladiaies se rencontrent surtout dans les marais calcaires près des lacs et au contact des massifs de roseaux.Les cladiaies se rencontrent surtout dans les marais calcaires près des lacs et au contact des massifs de roseaux. publics.

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A quel moment as-tu compris que le patrimoine bâti était une source d’enseignement ? Comment définirais-tu le patrimoine architectural du PNR ?

 

Certainement pas durant mes études d’architecture…Cette compréhension du lien entre le patrimoine bâti et l’environnement s'est forgée en travaillant ici dans la Manche sur ce patrimoine qui était la mission pour laquelle j'avais été recruté. Ça m'a permis de découvrir à la fois les matériaux, de lire le système constructif et de comprendre aussi le lien entre cette conception et les usages, le territoire. C'est vraiment un apprentissage par l'observation du patrimoine et le conseil à apporter à la rénovation, etc.

 

Il n'y a pas de particularité forte hormis le système constructif qui est celui très présent de la bauge.  Certaines communes possèdent 80% de leur patrimoine construit en bauge. Le patrimoine lui-même est une source d’inspiration, mais ce n'est pas forcément quelque chose de spécifique au territoire du parc. 

En lisant le patrimoine, on lit une forme de conception bio-climatique avant l'heure, des façades qui vont être exposées au Sud pour bénéficier de l'éclairage maximum, des façades Nord qui sont très peu percées pour éviter les déperditions.Ce sont des choses que nous révèlent le patrimoine bâti existant. C'est un bon sens qu'avaient nos anciens et un bon sens qu'on a perdu et qu’il serait intéressant de retrouver. Cette relecture du patrimoine peut être intéressante dans le lien étroit entre le territoire, la géologie, les Hommes. En effet le territoire et le terroir font corps avec le patrimoine bâti. 

 

Nous avons peut-être un peu perdu cette proximité avec l’usage des matériaux contemporains, qui viennent des quatre coins du monde, des quatre coins de la France, ce qui contribuent peut-être aussi à une forme de perte d'identité des territoires. Pour moi, il s’agit de se réapproprier les ressources locales, les éléments de l'environnement pour recréer un lien entre le territoire et l'habitat.

Comment vois-tu le fait que dans la réglementation contemporaine, on essaye d'adapter le matériau terre, qui est approuvé par l'histoire et le patrimoine, à un système normatif basé sur la construction en béton, la standardisation et la préfabrication ? Le matériau "terre" est-il un matériau "normable"?

C'est vraiment la question de l'adaptation de la norme. À mon avis, il ne faut pas chercher à ce que le matériau rentre dans une norme. C'est faisable, mais avec des matériaux issus toujours du même gisement, du même endroit d’extraction. On reste alors dans le schéma de fonctionnement classique. Ce que je trouve intéressant aujourd'hui en se réappropriant ces matériaux locaux et naturels, c'est qu’on redonne place au savoir-faire et à l'Homme quelque part. C'est-à-dire que la norme a peut-être tendance à annuler la compétence de l’artisan. On applique une recette répétitive avec toujours le même produit. 

 

Dans le cas de l’emploi de la terre crue, cela oblige les entreprises à recréer de l'intelligence, à recréer du savoir-faire. Finalement les individus qui mettent en œuvre le matériau se réapproprient les techniques et sont fiers de leurs compétences. 

 

Cette pensée n’est pas forcément en accord avec les besoins de massification de la filière et aujourd’hui le débat est ouvert dans la filière “Terre”. J'ai tendance à dire qu'il faut être un peu pragmatique, et ne pas opposer l'un à l'autre. Les deux sont nécessaires pour qu'on aboutisse à une massification aujourd'hui et à un usage plus régulier de ces matériaux sains et naturels. Les pionniers qui se sont investis dans la construction en terre il y a plusieurs décennies sont aujourd’hui les gardiens de savoir-faire et eux seuls savent que le matériau peut s’adapter aux techniques plus modernes, ils peuvent garantir le process. 

Il y a peut-être un transfert de connaissances à effectuer vers des entreprises plus conventionnelles et trouver une solution de normer la “méthode” plutôt que le “produit” pour aboutir à des ouvrages qui rassurent les assureurs.

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En parallèle, on a peut-être besoin d'une phase transitoire où les entreprises qui disposent d’une compétence sur la terre soient capables de s'adapter sur chaque chantier, à chaque technique et aux matériaux. Peut-être aussi développer des produits plus normalisés que des entreprises plus conventionnelles pourraient utiliser facilement et qui leur permettraient de monter en compétence rapidement. 

 

C'est un petit peu la méthode qu’on a appliquée sur le territoire du Parc. Au moment où on a commencé à former les entreprises à la rénovation du matériau terre, on a petit-à-petit monté le niveau de compétence. D'abord en les faisant travailler à la chaux plutôt qu'au ciment pour les enduits, et puis en travaillant un peu les rebouchages à la terre avant de faire les enduits. Et puis, on a remonté un mur en briques de terre crue pour montrer que finalement le processus était le même que de la brique en terre cuite, enfin on s’est orientés vers de la bauge. Ces entreprises se sont familiarisées avec le matériau, elles ont gagné en confiance dans la mise en œuvre. Ces phases de transition sont tout à fait possibles pour massifier l’emploi de la terre crue dans le bâtiment et remplacer les habitudes de mise en œuvre du parpaings de ciment ou de la brique de terre cuite. 

 

Quelles sont les caractéristiques de la bauge ?

La construction en bauge est un principe de mise en œuvre d’une terre à l’état “plastique”, donc assez chargée en eau pour avoir un mélange malaxable, malléable, assez souvent chargée en fibres végétales et qui va être montée par empilement de manière à réaliser un mur massif et porteur, la plupart du temps sans coffrage. C'est un distinguo assez important à faire par rapport au pisé (10), qui est plutôt une technique dite de terre humide, donc très peu d'eau dans le mélange et qui va être compactée par petits lits successifs dans un coffrage. La différence fondamentale, c'est ce qu'on appelle l'état hydrique, c'est la teneur en eau et l'état de la terre. Ensuite, il peut y avoir des différences liées à la granularité de la terre, donc sa teneur en gravier, en sable, etc…Mais ce n'est pas vraiment la différence fondamentale. Ce qui fait qu'assez souvent, la bauge et le pisé ont pu être confondus par le passé, c'est que la bauge allait monter par ce qu'on appelle une "levée" qui fait 50, 60 centimètres de hauteur en moyenne, qui est une première étape qu'on va laisser sécher quelques semaines avant de remonter une couche suivante. Se dessine des lits horizontaux qu'on a souvent confondus avec la hauteur d'une “banchée” de pisé, donc la hauteur du coffrage du pisé. Il y a parfois cette confusion, mais le principe de mise en œuvre est réellement complètement différent. Par le passé, la bauge est probablement avec le torchis une des techniques les plus anciennes qu'on trouve sur les territoires français. Il y a notamment pas mal de fouilles archéologiques qui ont été faites dans le Sud de la France, autour de Montpellier, qui attestent de traces d'époque gauloise de l'utilisation de la bauge. En Normandie, on a pas mal de traces aussi du torchis d'époque gauloise également. Le Pisé lui arrive beaucoup plus tard à l'époque des conquêtes romaines par l'Afrique du Nord et se cantonne au haut de la vallée du Rhône, principalement, je pense, pour des raisons climatiques. Le pisé nécessite très peu d'humidité pour être mis en œuvre. Dans le Nord-Ouest, on est plutôt sur des régions pluvieuses qui ont permis le développement des techniques de construction humides en bauge. 

 

Aujourd'hui, on trouve de la bauge depuis le Nord-Pas-de-Calais jusque dans le Gers, avec des traces qui remontent pour les plus anciennes au XVIᵉ siècle. On trouve quelques traces archéologiques médiévales dans le Sud de la France, particulièrement autour de Carcassonne, mais les bâtiments globalement construits en bauge sont localisés dans l'arc ouest de la France, avec deux gros bassins très fortement identifié le bassin rennais et le bassin normand et en particulier la Manche, où on a des concentrations de plus de 80 % du patrimoine bâti dans certains villages construits en bauge.

Figure 6. Prototype Cobbauge © Atelier Géminé - 2023

10. Le pisé est un mode de construction en terre crue, comme l'adobe ou la bauge. On le met en œuvre dans des coffrages appelés banches. La terre est idéalement graveleuse et argileuse, mais on trouve souvent des constructions en pisé réalisées avec des terres fines. 

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Est-ce que tu peux nous parler des qualités techniques, hygrothermiques de la bauge ?

La bauge a pas mal de qualités hygrothermiques intéressantes. On est sur un mélange qui est assez chargé en eau et en fibre végétale lors de la mise en œuvre, ce qui en fait un matériau qui est moins dense que le pisé. Un pisé ancien tourne généralement autour de 1,6 tonne ou 1,7 tonne au mètre cube. Les pisés contemporains, c'est plutôt 1,8 tonne, voire 2 tonnes au mètre cube. La bauge va peser entre 1,3 tonne, 1,4 tonne, parfois 1,5 tonne au mètre cube, donc un matériau un petit peu plus léger et donc un petit peu plus isolant que le pisé. Et comme pour le pisé ou toutes les autres techniques de construction en terre crue, c'est un matériau qui a une bonne inertie et une bonne capacité à la régulation hygrothermique du fait de la présence des argiles dans la terre, qui font le liant de la terre, qui permettent aux grains de tenir, mais qui sont aussi les particules qui ont la capacité de stocker l'humidité. La résultante est que les habitats construits en bauge donc d'en faire des habitats qui vont avoir tendance à être « plus secs » en hiver, en captant l'humidité intérieure, en donnant une sensation de confort, quand bien même l'intérieur est peu chauffé. Et en été, des matériaux qui vont relarguer l'humidité stockée en hiver et qui vont avoir tendance à rafraîchir les intérieurs, à les rendre plus supportables en période de fortes chaleurs. Tout bénef et aussi, du coup, ce qui en fait un intérêt aujourd'hui pour réutiliser ces matériaux dans la construction neuve. En plus, dans un contexte de réchauffement climatique, on va avoir de plus en plus à gérer des périodes de canicule estivale, même en Normandie. Cette question de l'inertie thermique, du confort intérieur d'été peut être gérée de manière assez intéressante avec ce type de matériaux. On a tout intérêt à remettre ce matériau au goût du jour dans la construction neuve, notamment. 

Est-ce qu'on peut le réemployer ?

La question du remploi de la terre est intéressante et sur le plan théorique, si la terre n’est pas stabilisée elle peut être réemployée à l’infini. C'est très facile pour le pisé quand il n'est pas stabilisé, bien-sûr et dans la mesure où il n'y a pas d'adjonction de fibres végétales. Il suffit de casser le mur de le réhumidifier et ça repart pour un tour. Sur la bauge, le torchis, il faut relativiser un peu. C'est-à-dire que le fait de travailler un mélange plastique avec de la fibre végétale produit un début de pourrissement de la fibre pendant la phase de mise en œuvre et la phase de séchage. Le réemploi va être possible une ou deux fois, mais au bout d'un certain temps, cette matière végétale va pourrir et revégétaliser une terre inerte. Si le bâtiment tient une centaine d'années, on va pouvoir le réutiliser peut-être une fois ou deux, donc avoir un matériau réutilisable sur 200, 300 ans. L’analyse du cycle de vie de ces bâtiments est exceptionnelle. C'est un matériau qui n'a pas d'impact sur l'environnement, c'est-à-dire que même si le bâtiment tombe en ruine sur place, la terre va se revégétaliser. Ce phénomène prendra peut-être deux ou trois ans avant qu'un couvert végétal se reconstitue, mais ce matériau va avoir très peu d'impact sur l'environnement. Et après, étalé en terre agricole, elles vont se revégétaliser sans trop de problème peut peut être parler aussi de...

Est-ce que tu penses qu'il y a un engouement par rapport à cette question des éco-matériaux ? 

Je dirais qu'il y a un certain engouement depuis dix ans à peu près. On sent que les préoccupations environnementales sont de plus en plus vivaces. J'ai depuis quelque temps assez régulièrement des appels pour un conseil, pour construire, pour un nouveau projet à droite, à gauche. C'est quelque chose qui est assez nouveau et je sens que c'est une demande qui s’accentue par rapport aux quelques sollicitations ponctuelles des années 2000. Je ressens aussi une implication plus forte des entreprises ainsi que les milieux architecturaux et étudiants qui poussent de plus en plus vers l'utilisation de la terre crue. Il y a vraiment un mouvement de fond qui me rend optimiste sur l’avenir de la filière. En effet, ce mouvement de redécouverte du matériau va au-delà de l’effet de mode. 

 

Quelle place accordée à l'humain dans la mise en œuvre du matériau ? Comment moderniser et actualiser les techniques de construction anciennes ?

 

La bauge, comme les autres techniques de construction en terre, nécessitent beaucoup de main d'œuvre sur les chantiers. Effectivement, par le passé, et c'est encore vrai sur certains chantiers aujourd'hui, on a besoin d'avoir de la main d'œuvre, pas forcément qualifiée, mais pour préparer les mélanges, pour monter la terre, etc. Ce sont des pratiques qui peuvent permettre de créer, au travers du chantier participatif, du lien social et un rapport humain. Même si ces chantiers participatifs sont intéressants, ce n'est pas selon moi la solution qui permettra de développer la construction terre à grande échelle. Ces chaînes de solidarité fonctionnent assez bien aujourd'hui en milieu rural, lorsqu’on arrive à mobiliser des réseaux d'amis et des gens qui s'intéressent à l'écoconstruction. Je pense particulièrement aux pratiques de l’artisan Ghislain Maetz (figure 8) en Bretagne. En Normandie, on a quelques constructeurs assez ouverts à ces pratiques d'encadrement de groupes de bénévoles, mais globalement on est plutôt dans une logique conventionnelle de production du bâti. Les techniques traditionnelles sont assez pénibles à mettre en œuvre et sollicitent les corps…Je pense que nous pouvons apporter une véritable réflexion sur l'amélioration des pratiques de mise en œuvre, sur l'ergonomie, sur la mécanisation de manière à ce que les ouvriers soient dans de meilleures conditions de travail. En bauge, il y a beaucoup de manutentions, les murs sont épais, il y a beaucoup de matière première à transporter et à mettre en œuvre. Il faut vraiment réfléchir à la mécanisation, à la simplification des tâches, à l'ergonomie pour éviter de trop solliciter les ouvriers.Cette optimisation permettra aussi de massifier l'utilisation de la terre en milieu urbain, sur du logement collectif par exemple. En milieu urbain, on imagine difficilement les acquéreurs participer à leurs chantiers, c'est dommage. On le voit dans le pisé, l'utilisation du fouloir pneumatique évite d'avoir à compacter manuellement. Dans la construction en bauge, on a identifié que les postes de redécoupage de la bauge à mains nues étaient des tâches très pénibles. En utilisant des coffrages aujourd'hui, on arrive à limiter ce travail. C'est quand même pas loin d'un tiers du travail manuel qui est évité par l'utilisation de ces coffrages. Les mélanges et malaxage peuvent être mécanisés également. Même la mise en œuvre dans le coffrage peut être mécanisée. On arrive quand même nettement à moins solliciter les ouvriers physiquement. La mécanisation peut éventuellement améliorer les choses parfois en hybridant aussi les techniques. Je parle de bauge de manière un peu générique, mais il y a une variété de mise en œuvre, de petites adaptations dont on peut s'inspirer pour moderniser la technique. Sur le pisé, c'est également la même chose, des petites variantes qu'on peut adapter pour mettre au point un nouveau principe.

Figure 7. Présence de la bauge en France et en Normandie. © CRAterre

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Figure 8. Ghislain Maetz - artisan construction de terre crue

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Peux-tu nous parler du projet CobBauge ?

Le projet CobBauge (11) part du constat que ces techniques traditionnelles ont des propriétés avérées sur la régulation hygrométrique et sur l'inertie thermique. La terre est en plus un matériau pour le préparer et le mettre en œuvre. Malgré toutes ces qualités, il est très difficile de construire en bauge aujourd’hui, à cause des réglementations notamment thermiques. Il faut recourir à une isolation thermique sur les murs existants. Le second constat, est que la bauge est une technique qui demande beaucoup de main d'œuvre. Le sujet est donc double : comment arriver à améliorer cette technique pour la rendre à la fois compatible avec les réglementations thermiques en vigueur et comment améliorer le processus de mise en œuvre pour le rendre accessible pour les entreprises, et donc plus économique ?

 

Le projet CoBbauge a cherché à répondre à ces deux axes de réflexion. Au départ, l'université de Plymouth avec Steve Goodhew (figure 10), l'école d'ingénieurs de Caen, BUILDERS avec Mohamed Boutouil (figure 11), le directeur du laboratoire et moi-même au sein du parc naturel. On travaillait déjà ensemble sur différents projets séparément, mais on s'est retrouvés à trois pour dessiner les contours du projet CobBauge avec comme idée de rendre la construction en bauge compatible avec les réglementations thermiques anglaises et françaises et d'améliorer le processus de mise en œuvre. 

 

Nous avons cherché à voir si le mélange terre fibre traditionnelle de la bauge pouvait être optimisé pour être à la fois porteur et isolant. On s'est très vite rendu compte que ça n'était pas jouable et qu'on était obligé de travailler sur deux mélanges distincts: un mélange porteur, la bauge traditionnelle, et puis un mélange isolant de terre allégée. Pour mettre en œuvre les deux mélanges, nous avons cherché à simplifier les procédés de mise en œuvre en s’inspirant d’expériences plus anciennes sur le coffrage traditionnel de la bauge. Nous avons hybridé un peu les techniques pour réussir à mettre en œuvre simultanément la bauge porteuse sur la paroi intérieure et la terre allégée sur la partie extérieure du mur. 

Est-ce que la construction en bauge est viable économiquement ?

Tant qu'on ne fera pas payer aux techniques conventionnelles leurs coûts réels sur l'environnement, ce sera très compliqué…Aujourd'hui, on est sur une technique qui est plus chère que les techniques conventionnelles. Dans le cadre du travail fait sur CobBauge (12) nous avons estimé que la construction d'un bâtiment en bauge, répondant aux normes thermiques, était de l'ordre de 30 à 35% supplémentaire de plus qu'une construction en bois isolée avec des matériaux biosourcés. On est malheureusement encore sur une technique qui est trop chère et on espère que la mécanisation permettra d'améliorer un peu les temps de mise en œuvre et donc permettre de réduire les coûts. Parce que ce n'est pas la matière première qui coûte cher, mais la main-d'œuvre. 

 

Aujourd’hui, les chantiers participatifs rendent la mise en œuvre viable économiquement, car la main d'œuvre n'est pas rémunérée, mais dans le cadre de marché de construction plus conventionnel, c'est nettement moins évident. Il faudrait qu’un nombre croissant d’entreprises se forment à ces techniques, on aurait alors des économies d’échelle qui améliorerait le coût global de la construction. On peut espérer aussi qu'avec l'augmentation du coût de l'énergie, on aura probablement aussi un jour à payer le coût de mise en décharge des matériaux de construction. Dans cette perspective, le matériau terre offre de belles opportunités. 

Figure 9. Prototype construction en bauge - chantier Saint-André-de-Bohon © Atelier Géminé 2023.

11. Le projet CobBauge a été sélectionné dans le cadre du Programme européen de coopération transfrontalière INTERREG V A France (Manche) / Angleterre cofinancé par le FEDER. 

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Figure 10. Professeur Steve Goodhew.

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Figure 11. Ingénieur Mohamed Boutouil

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Quels sont les freins qui pourraient limiter la construction en bauge ? 

 

Les leviers qui nous permettraient de rendre la bauge plus abordable ne concernent pas tant les problématiques de mise en œuvre, parce qu'on est quand même arrivé assez loin avec les coffrages, la mécanisation des mélanges, ce qui reste fondamental et problématique dans la bauge par rapport aux autres techniques de terre porteuse et notamment le pisé, c'est la question du séchage. S'il y a un axe de recherche sur lequel on doit plancher aujourd'hui, c'est comment faire en sorte que la bauge prenne moins de temps à sécher. La bauge est moins chère que le pisé. Avec la bauge optimisée, on arriverait encore à baisser un petit peu les coûts par l'utilisation des coffrages, mais la question problématique, c'est le temps de séchage avant de pouvoir mettre en charge la charpente. Ce temps de séchage reste long et problématique. Il y a eu des expérimentations pour optimiser la teneur en eau, pour avoir un mélange suffisamment ferme pour être mis en œuvre plus rapidement, pour obtenir une capacité de portance plus rapide, mais ce n’est pas encore concluant. La question de la préfabrication aussi est pas mal explorée. Il y a pas mal d'expérimentations qui sont faites. Préfabrication en atelier, mise en œuvre sur chantier, préfabrication sur chantier, mise en œuvre directement sur chantier. Il y a des choses qui sont en cours d'étude.

Comment vois-tu l'avenir du matériau ?

Je vois de la terre partout. Je pense qu'il y a réellement une place à gagner dans l'ensemble des matériaux et des techniques constructives. Ce matériau peut être une alternative aux côtés d'autres dispositifs constructifs. Par exemple, si la construction en paille manque un peu d'inertie, on peut ramener de la terre sous forme d'enduit, sous forme de cloisons, de murs bauges porteurs intérieurs, de murs pisés. C'est un moyen de répondre à cette problématique. C'est la même chose pour les maisons ossature bois. Le matériau terre peut prendre cette place dans la construction et peut permettre aussi d'absorber le surcoût ou de le noyer dans un ensemble où chaque matériau est utilisé aussi pour ses caractéristiques de confort intérieur. 

RESSOURCES

  • Carte des gisements et carrière de Terre PNR

Figure 12. François Streiff sur le prototype Cobbauge © Atelier Géminé 2023

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