top of page
chai vauvert.jpg

Jean-Manuel Perraudin

Architecte

Directeur général de l'agence d'architecture Perraudin,

qu'il intègre après avoir été formé à UP6 ENSA Paris La Villette. Il travaille conjointement avec son père pour faire émerger les projets. Entretien autour

de la pratique de l'architecture et les perspectives de l'agence.

Bonjour, est-ce que tu peux te présenter?

 

Je m’appelle Jean Manuel Perraudin, je suis architecte D.E, HMONP, je travaille depuis quelques années maintenant chez Perraudin Architecte et je suis aujourd’hui associé et directeur général de l’agence. 

 

Qu’est ce que ça fait de travailler avec son père?

 

On s’amuse bien, c’est même plutôt sympa, ça permet de pouvoir se dire toutes les choses, à la fois d’un point de vue architectural et des problématiques qui peuvent exister au sein même de l’agence sans filtre, voilà. Il n’y a aucun souci vis-à-vis de la parentalité.

 

Tu arrives à un moment donné ou il y a une certaine forme de notoriété par rapport à ton père qui est plutôt sur la fin de sa carrière que sur le début. Comment envisages-tu l'héritage de l’agence et comment te projettes-tu avec cet héritage ?

 

Je ne veux pas parler à la place de Gilles mais je pense qu’il n’est pas du tout à la fin de sa carrière, je dirais même avec provocation qu'il se trouve au début. Les grands architectes ont commencé leur carrière tardivement. Il n’est pas dans un processus de passation puisqu’il est encore très présent et il reste le gérant de la société et la figure principale. Nous ne sommes pas dans une quelconque dynamique de passation, puisqu’il reste le grand patron. Aujourd’hui, la vraie question tient plus dans ma posture par rapport à l’agence établie, et comment je viens m’insérer dans tout cela. Cela revient à la question de ma volonté de faire de l’architecture. C’est un métier où on apprend tout le temps. J’ai la chance de travailler avec Gilles Perraudin et d’avoir une relation très particulière qui me permet d’apprendre beaucoup et c’est dans cette figure que je m’inscris. Avec le temps j’ai pris des responsabilités mais c’est un choix aussi. D’autres en on prit, je ne suis pas le seul dans l’agence, d'autres personnes ont des responsabilités et nous nous entendons sur une conduite d’agence, une conduite d’éthique qui nous permet d’avancer. 

 

Aujourd’hui tout se passe bien et il n’y a pas de dynamique de passation, c’est vraiment un travail collaboratif entre Gilles qui à beaucoup de choses à nous transmettre et qui n’a plus envie de s'embêter avec les problèmes classiques de la gestion d’une agence. 

 

Nous qui démarrons et qui sommes jeunes, nous pouvons apporter notre énergie et notre volonté d’avancer plus loin.

IMG_3741.JPG

Tu parles de l’éthique de l’agence, comment la décrirais-tu?

 

C’est assez complexe et c’est une bonne question. J'ai fait mon mémoire de HMONP(1) sur l’éthique des architectes qui s’est très mal passé parce que définir une éthique peut paraître moralisateur et donneur de leçons, disons-le.

 

On va dire que la conduite de l’agence ou l'éthique des architectes, c’est encore deux débats différents. La ligne directrice de l’agence, c’est de construire de la façon la plus écologique possible et de la façon la plus sociale possible. Nous construisons d’abord pour les habitants avant de construire pour nous, nous ne sommes pas là pour satisfaire notre propre égo, mais nous ne sauvons pas la planète non plus. On essaye à chaque fois mais nous n’y arriverons pas tout seul et nous avançons tout de même dans cette direction. Évidemment si demain on nous propose un énorme projet qui fera fondre la moitié de la banquise, nous n’accepterons pas. Nous construisons en pierre, en terre, en bois, mais aussi avec d’autres matériaux. S’il existe d’autres matériaux naturels consommant peu d’énergie, pourquoi pas. Le matériau pierre est un élément architectural comme un autre. 

 

L’agence Perraudin a une approche très contextuelle, est-ce que vous avez une méthodologie particulière?

 

Je vais dire oui, nous n'inventons rien en architecture, tout à déjà était fait ou presque. Toutes les bonnes idées ont déjà eu lieu. On s’inspire de ce qui existe, des bonnes idées qui sont liées au climat, ou à l’architecture vernaculaire ou traditionnelle. 


Mais en fait les réponses du passé peuvent être réinterprétées aujourd’hui dans un contexte différent. Je me souviens de Gilles me disant que pour trouver la bonne façon de construire, souvent il fallait se balader et observer. Par exemple, les murets qui séparent les champs, que ce soit des schistes ou des murets de pierres sèches, étaient en fait une très bonne façon de construire à bas coûts.

Figure 1. Jean-Manuel Perraudin, mai 2021. Vauvert

IMG_9172.jpg

En fait, il suffit d'observer, voilà notre approche contextuelle. Après il y a d’autres approches qui sont plus particulières, quand on construit en ville par exemple après c'est le travail de tout architecte. Aujourd’hui, on essaye une approche plus globale en prenant en compte le transport fluvial pour transporter la pierre et dépenser moins d’énergie que l’emploi de camions. C’est donc une approche globale, contextuelle, socio-économique et climatique. 

 

Où trouves-tu l’inspiration pour les projets ? As-tu des endroits spécifiques, des livres qui t’inspirent ?

 

J’aimerai tout voir, tout lire mais je ne trouve pas le temps. Pour être honnête, je pense que je ne lis pas assez, mais je m’inspire beaucoup du travail de l’agence. 

Pour un projet réalisé, il y a dix projets non réalisés, mais étudiés et assimilés, ce travail m'inspire également. 

 

Après il y a des architectes que j’admire, beaucoup, surtout des décédés mais aussi des vivants. Je m’inspire un petit peu d’eux mais en fait je m’inspire plus d’une posture plutôt que d’un style. Je ne vais pas m'amuser à faire demain du Frank Lloyd Wright (2) ou du Louis Khan (3) ou du Alvar Aalto (4), je m’inspire plutôt d’une posture ou d’une idée que j’essaie de réadapter et de réintégrer dans nos projets. Je n’invente rien et il est très difficile de définir un style architectural. En tout cas pour l’agence, aucun projet ne se ressemble, on réinvente à chaque fois une forme, un lien avec le site. On ne pose pas de formes préconçues, un cylindre, une pyramide.

 

Je peux dire qu’il y a une véritable inspiration dans les projets, on prend les bonnes idées là où elles sont et cela ne concerne pas forcément l'architecture. L’inspiration est bien plus vaste.

L’agence porte un modèle artisanal du métier d’architecte. Comment peut- on allier impératifs économiques de la gestion d’une agence et recherche du projet?

 

Justement nous n’avons pas de module dédié à la recherche dans l’agence alors que nous ne réalisons quasiment que cela. En réalité, toute forme architecturale est une recherche. Tour projet est une recherche, soit d’un procédé structurel, soit d’un procédé constructif liée à un modèle économique parce que pour réussir à construire intelligemment il faut réussir à trouver un procédé constructif. Nous sommes des constructeurs avec d’être des formalistes et cela demande beaucoup de recherche en amont des projets, c’est peut être cela qui nous rapproche de l’artisanat, la construction plus qu’autre chose.  

 

Nous aimons bien travailler avec des matériaux naturels, pas directement issus de l’industrie, ce qui nous rapproche de l’artisanat…. Après nous sommes une agence comme une autre, c’est juste qu’on essaie d’aller au bout du processus pour en extraire l’essence et la bonne logique. Trouver la bonne logique du matériau pour qu’il soit appliqué de la bonne façon, c’est peut-être cela qui nous guide. Dans tous les cas, si on ne trouve pas la bonne logique constructive, alors le budget ne suit pas et les projets ne sortent pas. 

Comment fonctionne la recherche dans l’agence ? Quels sont les outils que vous utilisez ?

 

Il y a mille et une façons de fabriquer le projet, évidemment par le dessin et les maquettes,  d’ailleurs nous avons un atelier maquette qui tourne à plein régime à l’agence, il y également la recherche des ressources en matériaux. Par exemple concernant la pierre massive, nous recherchons l’emplacement des carrières aux alentours du projet. Nous réalisons des visites de site, par exemple en Roumanie (5) ou au Liban (6) à proximité des projets. On cherche un peu partout, pour moi c’est de la recherche également. 

 

Après il y a la recherche des savoir-faire du passé, par exemple concernant les remontées de capillarités dans les murs, on sait que les anciens inversaient la polarité en posant un fil de cuivre dans la première assise du mur (7). 

 

Notre recherche consiste à réaliser des maquettes, rencontrer des gens, réaliser des visites, et essayer d’intégrer tout cela dans nos projets. 

 

Après il y a la recherche formelle, je reste personnellement très attiré par l’esthétisme. J’aime les belles choses, les belles voitures, les belles montres. J’essaye tant bien que mal de dépasser ce biais pour remettre la construction et l’économie au cœur de la démarche. Lorsque tu construis pour autrui, tu dois dépasser tout cela te focaliser sur les besoins réels du commanditaire. L’objectif principal, faire des grands logements, des logements sains, l’esthétique vient vraiment en dernier lieu. 

Figure 2. Construction en pierre sèche, conservatoire des terrasses de Goult. Octobre 2022.

frank-lloyd-wright-09-tt-width-1872-height-1200-fill-0-crop-0-bgcolor-eeeeee.jpg
louis-kahn-hans-namuth.jpg
louis-kahn-hans-namuth.jpg
Alvar-Aalto-1969.jpg
IMG_3733.JPG

Tu exerces entre Lyon et Vauvert, deux territoires géographiques distincts, que représentent les territoires ruraux pour toi ?

 

A Vauvert, nous nous trouvons dans un territoire rural, un territoire agricole, avec beaucoup de vignes, j’ai grandi en partie ici. 

 

Les territoires ruraux ont été délaissé et c’est malheureux, les architectes n’ont pas la solution le problème est beaucoup plus vaste. Le problème est socio-économique, mais aussi politique, les pouvoirs publics ont abandonné les financements et le soutien. Aujourd’hui c’est un débat qui dépasse donc l’architecture. La vraie question est de faire revivre ces territoires parfois à l’abandon. Mais est-ce que cette question me concerne directement, je ne suis pas certain. 

 

Après construire en ville ou à la campagne revêt deux pratiques différentes.  A titre personnel, j’aimerais bien que les campagnes revivent un peu plus, qu’elles se remplissent un peu d’habitants. Par exemple, on a un projet ensemble à Alès, qui n’est pas entièrement à la campagne certes, mais qui est délaissé par tout le monde. On construit alors qu’il y a des milliers de logements vacants dans l’agglomération, pour quoi faire ?

En tant qu’architecte, on me donne une commande, je réponds à la commande en apportant mon regard et mon conseil. Est-ce mon rôle de dire non à la construction ? je ne crois pas, je ne suis pas assez compétent pour répondre.

Faut-il “ne pas faire” ou “faire au mieux''? 

 

Oui c’est une grande question. La grande réponse pour moi, c’est qu’il vaut mieux ne “pas faire” que “faire mal”. Parce que “faire mal”, c’est faire mal à tout le monde et à des gens que tu ne connais pas à l'autre bout de la planète, c’est évident! 

 

Il faut relever le défi, en se disant que quelqu’un fera moins bien. C’est très difficile comme question, mais moi j’aimerais dire que mon métier c’est faire de l’architecture. Et comme j’aime mon métier je le fais, je le fais au mieux. Mais la vraie bonne réponse c’est de ne pas le faire.

 

On se trouve dans le chai de Vauvert, ce bâtiment a été construit quand tu étais enfant, quel rapport entretiens-tu avec ce bâtiment?

 

C’est un rapport sentimental. J’ai passé toutes mes vacances, j’ai suivi la construction, j’ai même participé à la construction. Comme beaucoup de personnes qui ont contribué à l'édifier, des stagiaires, des architectes chacun a apporté sa touche quelque part, c’est une sorte de “slow construction”. Encore aujourd’hui nous réalisons des travaux, il y a un rapport d’expérimentation avec ce projet parce que c’est un lieu ou beaucoup d’architectes sont passés, ont expérimenté, ont construit. C’est un lieu qui renforce la créativité.

Figure 3. Recherche formelle, atelier Perraudin, Vauvert, mai 2021.

IMG_3846_edited.jpg

Sur le rapport à la pierre, je suis né dedans. Les murs je les connais par cœur, le calepinage peut être pas mais j’ai toujours vécu avec ces pierres. J’ai plus d’affinité avec la pierre et le bois que le béton ou au parpaing, c’est évident. Je n’ai pas connu ce rapport au béton dans mon enseignement architectural, ce n'est jamais conçu en béton dans ma pratique. Cela ne me viendrait pas à l’esprit de penser le projet au départ en béton, mais je pense que je ne suis pas seul, toutes les personnes qui ont vécu dans une maison en pierre ont le même rapport avec le matériau je pense. 

 

Après, je pourrais vous parler d’autres rapports que j’entretiens avec ce bâtiment, d’esthétique, de simplicité…. Des éléments plus subtiles, les formes, la matière, les contrastes, l’épaisseur. Ce bâtiment a changé d’utilisation un grand nombre de fois. c’était un chai puis c’est devenu une agence, et maintenant un logement. Les gens ont maintenant des enfants, et les petits-enfants courent partout. Tout est lié. Le travail viticole, le travail d’agence, l’entreprise familiale. C’est un peu tout cela qui caractérise cet espace et que cela soit en mouvement perpétuel. J’aimerais consacrer plus de temps à cet endroit, mais il y a l’agence à Lyon à faire tourner et cela me prend la plupart de mon temps. 

 

Tu es tout jeune papa, est ce qu’il est difficile de gérer une agence quand on a des impératifs familiaux et comment arrives-tu à jongler entre ces deux sujets ? 

 

Alors c’est compliqué, on rentre dans la psychologie familiale, moi j’ai deux parents architectes, mes frère et sœurs aussi. J’ai toujours vécu une sorte de non-distanciation entre la vie personnelle et la vie professionnelle, mes parents ont toujours vécu comme ça. On avait l'agence dans notre intimité familiale. Aujourd’hui c'est différent parce que d’une part ma compagne n’est pas architecte, donc ça change pas mal la donne. C’est pas simple du tout, c’est une question d’organisation, c’est comme le pilotage d’une agence: si on veut bien la gérer et éviter les charrettes et bien avec une famille il faut s’organiser et découper son temps. Le problème ce n’est pas d’aller le chercher à la crèche, mais plutôt de scinder les temps, de créer une coupure et de se libérer l’esprit pour être pleinement avec lui. 

 

Il faut donner des limites claires entre le travail et le temps familial, c’est la seule façon d’être entièrement dans son activité. Il ne faut pas vivre l’architecture comme une contrainte, il faut le tirer à son avantage pour essayer de faire quelque chose de mieux. Toute contrainte est bonne à prendre, la page blanche est difficile, c’est avec les contraintes qu’on gère mieux les choses. Avoir un enfant, une famille, du point de vue du travail, c’est une contrainte supplémentaire, mais qui est une bonne contrainte. 

 

Comment faire ses armes quand on est architecte et quelle a été l'expérience la plus formatrice pour toi?

 

Qu’est ce que cela veut dire faire ses armes ? Pour ma part, avant d’être diplômé, j’avais déjà travaillé pendant quelques années. Du coup, pendant mes études, je faisais déjà 35 heures en agence, je rendais mon projet à l’école, je faisais les partiels puis j’allais bosser à l’agence. 

Lorsque je suis arrivé dans l’agence Perraudin, on perdait beaucoup de projets, et je me suis retrouvé à 25 ans, seul avec deux chantiers en cours et les concours. Avec Gilles certes, mais tout seul en tant que salarié et ça a été difficile mais formateur, tu es obligé d’acheter ton livre pour suivre et organiser ton chantier, après les entreprises t’aident et te forment aussi dans l’action. Gilles Perraudin, m’a pas mal piloté, mais le fait de me retrouver dans la panade, c’est bien cela qui m’a le plus formé, de vivre des hauts et des bas. Le fait de devenir gérant également m’a beaucoup appris, on change de regard, de problématique, de responsabilités. On se met à penser en termes de coût horaire, de responsabilités juridiques, d'assurances, de gestion administrative. Pour moi c’est cela le plus formateur, plus que dessiner un PRO ou un DCE (8). 

 

Derrière le dessin, il existe une montagne de problématiques diverses. Pour dire vrai, je ne suis pas loin de la phobie administrative, je déteste faire cela, mais lorsque tu as des salariés, cela devient ton quotidien. Mon angoisse ce n’est pas le projet, mais de savoir comment je vais pouvoir payer les salaires. C’est le nerf de la guerre, savoir comment vivre et chercher à être payé à notre juste valeur.

Du coup qu’est ce que tu penses de la rémunération des architectes? 

 

Je passe mon temps à faire des tableaux d’honoraires. En fait, il faut bien comprendre pourquoi on se retrouve dans cette situation maintenant. Avec la suppression de la loi MOP, je ne vais pas trop en parler mais en fait c'était un cadre légal. Par exemple, nous travaillons en Suisse en ce moment et cela se passe très bien. En France, il manque un encadrement maintenant, on s’est mangé à par la concurrence, qui est à la fois aveugle et discrète, parce que la réalité c’est que certains architectes dévalorisent leurs offres avec toutes ces procédures adaptées. C’est une réalité malheureusement. 

 

Je vois parfois des pourcentages qui sont sur un même concours deux fois inférieurs. Pourtant, on ne fait pas des honoraires n'importe comment, on prend la base de la loi MOP (9) et pourtant on a quand même des architectes qui répondent deux fois en dessous-du prix, pourquoi ? 

 

Parce que les architectes meurent de faim aujourd'hui, il faut le dire clairement. Je me sens chanceux de vivre de ce que je fais, comme un artiste peintre, j’ai une chance incroyable mais d'autres n’ont pas cette chance et doivent à des taux extrêmement bas. 

 

Selon moi, il y a deux raisons principales. D’une part parce que les architectes sont très mal représentés entre eux, l’Ordre des architectes n’a pas ce rôle et les syndicats sont complètement en perdition, la représentation auprès du ministère n’est pas bonne. 

 

D’autre part, au sein de l’agence on passe des heures de recherche non facturées, et ça c'est la méthodologie de notre agence, on conçoit à la fois l’esthétique et l’économie, dans la construction en pierre massive, on a pas d’autre choix. Lorsque vous posez un bloc de pierre vous avez fait la structure, l’esthétique et une grosse partie de l’économie du projet, je peux donc demander aux bureaux d’études de baisser un peu leur honoraire. 

Figure 4. Patio, Chai viticole de Vauvert. Pause au milieu de l'entretien. mai 2021.

9.​ Loi relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée voté le 12 juillet 1985.

IMG_3762.JPG

Des fois cela crée des conflits mais les bons bureaux d’études le comprennent bien. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui les architectes meurent de faim. C’est triste à dire, on parlait tout à l'heure avec Gilles qu’en plus nos responsabilités sont telles que nos courbes de rentabilités sont inversées, on gagne beaucoup à l'esquisse et plus on se rapproche du chantier moins on gagne par rapport au temps passé. Mais pour faire des bons projets on est obligés d’aller jusqu’au bout, enfin nous c’est comme cela qu’on pense que le projet sera vraiment abouti, qu’on à la main dessus et qu’il est tel qu’on l'a souhaité. Donc c’est sûr qu’on n’est pas rentable, on le serait plus en faisant des permis de construire mais c’est pas ce qu’on cherche, on est là pour la passion. Si j’avais fait ce travail pour l’argent je ne l'aurais pas fait tout simplement. J’aurais fait banquier, promoteur, j’ai l’impression qu’ils gagnent plus que plein d'autres métiers. Je suis architecte parce que j’aime ce métier, je ne le fais pas pour gagner de l’argent. 

 

Quels rapport entretenez-vous avec la promotion immobilière? On sait que c’est en grande partie eux qui fabriquent la ville aujourd'hui, quelle est ta position par rapport à ça?


Je n’ai pas une très grande expérience donc je ne veux pas parler au nom de l’agence. D'après mon expérience et ce que je connais un petit peu, il faut comprendre que depuis les lois assez récentes ELAN (10). On a malheureusement donné au promoteur de l’importance. Ils n’en voulaient pas au début. Il se retrouvent avec dans les mains des milliers de logements à faire, des logements sociaux, ils ne veulent pas forcément les faire non plus. Aujourd’hui la ville est laissée aux mains des promoteurs, pas toujours hein, dans les ZAC (11) ils sont quand même très cadrés, il y a des ZAC ou ils réglementent tellement tout entre le prix d’achat, le prix du foncier etc, c’est juste des apporteurs de fonds. Donc comment travailler avec eux? En général ils viennent nous chercher. Donc s’ils viennent, ils acceptent nos règles du jeu. Et nous la règle c’est qu’on maîtrise le projet. Après on ne sait pas travailler sans avoir de groupement conjoint, sans être solidaire (12), mais au moins conjoint, c’est-à-dire que les bureaux d’études sont sous ma mandature, c’est moi qui suis le mandataire, c’est moi qui les pilote. C’est très difficile à accepter pour un promoteur mais on ne sait pas faire autrement. Et comme je l’ai déjà dit, nous maîtrisons tout de toute façon. Quand je fais de la pierre je suis obligé de maîtriser l'économie, la structure et tout le projet. Ça n'a pas de sens qu’ils soient séparés, tout est lié, y compris la thermique. Quand je fais des murs de 40 cm, il faut que je puisse maîtriser la thermique pour que cela fasse sens. On sépare pas l’économie de la structure des fluides. Donc par le biais des promoteurs, je travaille un peu comme avec une maîtrise d’ouvrage publique, je les traite de la même façon. Il y a un référent chez la maîtrise d'œuvre qui donne un budget, des choses, des règles du jeu et moi avec mon contrat je vais au bout du processus. Ça se passe bien ou pas mais que ce soit du privé ou du public c’est le même débat. Moi j’ai une commande, les promoteurs ont aussi leurs problématiques et des fois leur problématique c’est de faire de l’argent, c’est le but d’un promoteur, c'est de faire de la marge sur une opération. Et moi mon rôle c’est de faire dans le budget alloué le meilleur projet. Et c'est assez compliqué parce que la on parle d'indemnité. Il faudrait rentrer dans le contrat même pour parler des promoteurs, parce que c’est plutôt des choses dans le contrat que nous n’acceptons pas. Des clauses sur le droit intellectuel, de résignation. Nous travaillons comme en marchés publics. Soit vous nous prenez ou soit vous ne nous prenez pas, c’est notre posture. Après si tout le monde va dans le même sens tout va bien. Mais à partir du moment où ils viennent nous voir ils le savent, nous on fera pas autre chose.

Tu parlais tout à l'heure que vous étiez en train de construire en Suisse, des logements, Quelle est la différence significative avec la France ?

 

C’est complètement différent, c’est même pas l’Europe. Donc ils ne sont pas avec les eurocodes etc, il n’y a pas de bureau de contrôle. Chacun est responsable de son propre lot. C’est des rapports de force qui sont complètement différents. Après je ne peux parler que de ce projet là, je ne suis pas un spécialiste de la Suisse. Sur ce projet, c'était un concours international. Donc on gagne deux bâtiments en Suisse en pierre massive et les bureaux d’études font pareil, un concours. C’est adapté sur les honoraires. Mais en parallèle ils ne connaissent pas le projet. Donc en fait les bureaux d’études, c’est assez étrange, mais ils sont lauréats d’un projet qu'ils ne connaissent pas. C’est fou. Ils ont découvert le projet qui était tout en pierre massive et ils ont fait une drôle de tête nos amis suisses. Mais ça c'est très bien passé. Ils ont joué le jeu même s’il a fallu leur apprendre un petit peu les sujets.  Les honoraires sont tels qu’on peut aller très loin dans la conception. On a fait plein de maquettes, on a pris des spécialistes, des géologues, des spécialistes en macro maçonnerie, en sismique. Enfin on a une équipe très lourde qui permet de justifier auprès de personne parce que il n’y a pas de bureau de contrôle pour vérifier que ça marche. En fait la grande différence c’est qu’ il n’y a moins de multicouche d’assurances, de responsabilité qui font qu'à la fin on ose plus bouger, en France c’est ça le problème, on est coincé. En suisse on peut aller plus loin. La grande différence c’est que les logements sont plus grands. 

On vous appelle en général pour la pierre mais que penses-tu de la question du réemploi des matériaux, est-ce que pour toi c’est une perspective d’avenir? 


Cette question se pose tous les jours, on dit souvent que lorsqu’on construit en pierre on construit en réalité  une nouvelle carrière pour demain. Par exemple, l'abbaye de Cluny (13) a été démontée pour construire des maisons. C’est une très bonne idée, on n’a pas d’argent, on prend la pierre, on la déplace! Nous, quand on construit on dit toujours que la pierre n’est pas recyclable, elle est réutilisable, c’est deux notions différentes. Donc oui c’est une question qu’on se pose. Après la réutilisation des matériaux, utilisé quoi? En général c’est une question qu’on se pose sur le béton parce que ce n’est pas encore arrivé qu’on a eu besoin de démonter un de nos bâtiments en pierre. C’est très étrange mais tous les bâtiments en pierre, soit sont généralement classés, soit tiennent encore debout. On se pose ces questions avec des matériaux industriels de mauvaise qualité. En fait c’est une double problématique. C’est très bien de les réutiliser mais est ce qu’en le faisant on ne fait pas le jeu d’en produire. Est-ce qu’il ne serait pas plus intelligent d’arrêter de les utiliser et donc de les produire, point barre. Le béton on ne sait pas quoi en faire, le concasser pour en faire des sous-couches de dalles de route, je ne vois pas d’autres perspectives. On ne sait pas quoi en faire ou sinon les coups de recyclage sont tellement lourds qu’il est impossible de les réinjecter dans un projet. De même pour la question du recyclage on dit que l’aluminium est recyclable et donc un matériau écologique. Mais aucun rapport de l’atteste, il ne faut pas se leurrer, c’est deux choses différentes. En tant qu’architecte nous devons nous prémunir du jeu de ceux qui polluent. 

Figure 5. Recherche formelle. Agence Perraudin

10.​ Loi pour l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, votée le 16 octobre 2018.

11.​ ZAC: Zone d'Aménagement Concertée

12.​ Le groupement momentané d’entreprises conjoint, avec mandataire commun solidaire ou non des membres du groupement. Chaque opérateur est alors engagé sur les prestations qu’il réalise. En cas de défaillance de l’un d’entre eux il appartient au mandataire s’il est solidaire de faire réaliser la prestation ou les travaux au prix initialement prévu dans le marché.

13.​  L'abbaye de Cluny est une abbaye bénédictine située dans le département français de Saône-et-Loire en région Bourgogne-Franche-Comté. Fondée le 2 septembre 909 ou 910 par le duc d'Aquitaine et comte d'Auvergne Guillaume Ier, devenue le symbole du renouveau monastique en Occident, Cluny fut un foyer de réforme de la règle bénédictine et un centre intellectuel de premier plan au Moyen Âge classique. Il ne subsiste aujourd'hui qu'une partie des bâtiments, faisant l'objet de protections au titre des Monuments historiques et gérés par le Centre des monuments nationaux. L'ancienne abbaye dispose du Label du patrimoine européen. Les bâtiments de l'abbaye abritent depuis la fin du XIXe siècle l'un des huit centres de l'école des Arts et Métiers, grande école d'ingénieurs française.

reste démolition abbae de cluny.JPG

Comment tu perçois les nouvelles contraintes par rapport aux marchés publics, notamment la question du BIM qui commence à être plus présente? 

 

Le BIM (14) est un outil comme un autre. Je n’ai aucun souci avec le BIM à partir du moment où je le mets dans mes honoraires. Tout simplement. On nous demande une maquette supplémentaire très complexe mais il faut que nous soyons rétribué pour la réaliser. Personnellement je ne conçois pas en BIM, on travaille encore beaucoup en maquette, à la main, en plan et en coupe. J’ai cet enseignement que je retranscris en maquette BIM puis que je donne à un BIM manager, si je suis payé pour alors je ne vois pas de problème. 

 

Après, le processus BIM change aussi certains rapports avec d’autres métiers, par exemple, si je conçois en BIM alors je n’ai plus vraiment besoin d’un économiste, je n’ai plus besoin d’un bureau d’études structures, car le logiciel réalisera les calcules à leur place. Si le BIM sort du processus des intervenants et que je rapatrie les honoraires pour les architectes, alors la rémunération sera plus grande. Mais ce n’est pas le sujet, et je ne m’engagerai pas dans cette voie parce que notre façon de concevoir n’a aucun rapport avec un quelconque logiciel.

Le BIM n’est pas un outil de conception, c’est un outil de représentation. Si le logiciel est une machine de guerre pouvant intégrer tous les paramètres du projet, c’est très bien, mais peu importe. Tous les plus beaux projets au monde ont été conçus sans BIM, il ne faut pas l’oublier.

Il y a très peu d'architectes qui se positionnent sur le marché de la maison individuelle, pourtant il représente une production importante de logement en France? Est ce que le lien entre les particuliers et les architectes est rompu ?


Ce n’est pas ça, pour comprendre le problème de la maison individuelle, il faut remonter beaucoup plus loin. Il y a ce livre, Du maître d'œuvre au disagneur , qui explique l’évolution du métier d'architecte.

AVT_Bernard-Marrey_4911.jpg

Il explique pourquoi les architectes ne sont pas intéressés par la maison individuelle. Déjà c’est intrinsèque à la France. C’est bien dommage, parce que ce qui m'intéresse c’est de loger bien les gens, si cela passe pas la typologie de la maison individuelle alors pourquoi pas. Le problème tient dans le fait que le gros de la production de la maison individuelle est dessiné par des gens qui ont un intérêt financier. L’architecte quant à lui, ne regarde pas simplement l’argent, sa vision est plus large et c’est dommage que le gros de la production  se fasse sans nous. Par exemple, dans certains pays, il faut un architecte même pour construire une maison. On s’intéresse à la maison individuelle parce qu' on aime bien changer d'échelle de projet, parce que des gens nous font confiance et ainsi de suite. 

Pour vous répondre, j’inverserai la question en disant, en me demandant si ce ne sont pas les architectes qui se sont désintéressés de la maison individuelle? Quel architecte a vraiment envie de passer des heures à réaliser une maison individuelle jusqu’au bout? Cela représente des heures de travail, c’est très long et très complexe parce qu’on touche au plus profond de la psychologie des gens. C’est étrange parce que vous endosser une grande responsabilité pour des petits montants de travaux. Par exemple, nous construisons à 200 000 euros ttc, pour nous cela représente un petit montant de travaux alors que pour le client c’est une somme considérable qui représente un endettement sur une période de 30 ans. Donc vous touchez des honoraires au prorata des 200 000 euros, pour endosser toute la charge psychologique d’une construction en touchant des clopinettes. 

Qui a vraiment envie de faire de la maison individuelle à ce prix là ?

 

Mais c’est aussi de la faute des architectes qui ne s’intéressent plus à ce marché. Si vous allez voir un particulier en lui disant que vous allez construire sa maison au même prix qu’un constructeur avec les honoraires inclus, je ne pense pas qu’il refusera sincèrement, mais est-ce que vous avez vraiment envie de faire cela ?

 

A l'agence, aujourd’hui nous réalisons trois maisons individuelles avec des montants qui dépassent à peine 200 000 euros (ttc). Cela représente un temps monstre, et ces projets sont très peu rentables, vous ne pouvez pas faire tourner l’économie d’une agence sur ce modèle. Donc les architectes ont délaissé ce marché et d’autres corps de métier ont mis le grappin dessus, nous ne pouvons en vouloir qu’à nous-mêmes. S’il n’existe pas de lois ou de règlements obligeant à avoir recours à un architecte pour construire une maison individuelle, nous ne pourrons pas nous en sortir. 

 

Il y a une question de modèle urbain aussi, on sait que les maisons individuelles sont des bâtiments qui consomment beaucoup de territoire et qui se construisent souvent sur des espaces agricoles, Que penses-tu de ce modèle ?

 

Oui et non, il y a de la maison individuelle qui peut être bien pensée. Cela dépend aussi de la densité, qui est un concept aujourd’hui fortement remis en question. Il y a des bâtiments très bas, entre guillemets, qui font beaucoup de densité, Paris par exemple à une très forte densité alors que les immeubles ne sont pas très hauts, les pentes de la croix rousses à Lyon également. Le problème tient dans le mitage des grandes parcelles, cela n’a aucun rapport avec la maison individuelle en soi, vous pouvez faire de la maison individuelle groupée par exemple. Il ne faut pas caricaturer, il y aussi les plans de masse qui polluent, ce n’est pas que l’objet “maison”. Tout le monde a droit d’avoir une maison avec un jardin, il n'y a pas que les Riches, il faut repenser la question et ne pas rentrer dans des stéréotypes. 

Figure 6. Abbaye de Cluny, reste de l’abbaye de Cluny pendant la démolition des caves. Léon Leymonnerye. Musée Carnavalet, Histoire de Paris.

14.​ BIM (building information modeling)

architecte-itre-de-l-uvre-disagneur-bernard.jpg

Figure 7. © Éditions du Linteau - Architecte, du maître de l’œuvre au disagneur, Bernard Marrey.

1280px-Croix-Rousse_vue_de_Fourvière.jpg

Tu es sorti de l'École, il n'y a pas si longtemps, quel regard portes-tu sur les enseignements de l’architecture en France, et quelle a été ton expérience ?

 

J’ai passé mon enseignement à Paris La Villette, UP6 (15). Ça ne s'est pas très bien passé, j’ai eu des bons professeurs et des mauvais professeurs, mais à partir de ma deuxième année, je n’allais plus à l’école car je bossais à l’agence quasiment 35 heures par semaine. Je rendais des projets certainement pas si mauvais que cela car j’ai eu mon diplôme mais la plupart de mon temps je le consacrais à l’agence. 


Ce qui faut comprendre, car j’ai eu la chance d’enseigner un petit peu à l’ENSA Lyon, je fais des workshops et je suis formateur dans le cadre de la pierre massive pour divers organismes (16) comme l'Ordre des architectes par exemple. Il faut bien comprendre que les écoles d'architecture sont des écoles pour apprendre l’architecture et pas des écoles pour former des architectes. Il faut très vite le comprendre, les gens sortent de l'école et ne connaissent rien au métier d‘architecte, c’est comme si vous sortez d’un master d’histoire de l’art et vous voulez devenir peintre, on est à peu près sur le même niveau. Ce qui est triste c'est que les gens sortent des ENSA, sont diplômés, sont prêts à exercer, mais ils ne connaissent rien du métier, et ils s’en plaignent et tout le monde se plaint de cette situation. La situation ne change pas et empire même. Cela dénigre aussi la profession tout entière.Trop souvent on a l’impression d’avoir fait six années pour rien et c’est clairement cela. Moi j’ai appris plein de choses, j’ai adoré faire de la photographie, faire de la vidéo, faire plein de choses, mais je n’ai appris à construire un bâtiment avec toutes les contraintes que cela engendre. On ne m’a pas appris pourquoi la ferraille doit être positionnée à 4 cm du béton, pourquoi une pierre doit être posée ainsi, pourquoi un détail tient ou pas...Le b.a.- ba de la construction. Alors ensuite on se retrouve devant un promoteur, qui lui est ingénieur en bâtiment, on a l’air ridicule parce que lui a la connaissance. Pour apprendre soit, vous prenez des claques, des claques et c’est difficile à encaisser parce qu’il faut tout réapprendre et vous avez l’impression d’avoir perdu six années de votre vie, soit vous faites par vous-mêmes et vous perdez un peu de temps.

Tu penses qu’il faudrait apporter plus de notions constructives au cursus?

 

Non, je pense qu’il faudrait faire de l’alternance. Il faudrait que ce soit une école d’apprentissage d’un métier. En fait, pour apprendre un métier, il faut que ce soit un cursus d’apprentissage, sinon cela restera toujours une école d’architecture. 

 

C’est assez simple, moi je pense qu’il faudrait faire de l’alternance. Cela devrait être obligatoire, je parle en tant que patron de boîte, mais quelqu'un qui sort de l’école qui ne sait rien, vous devez lui payer un salaire décent par rapport à son grade, il a quand même un bac +5 ou +6, parfois cela fait mal. Vous devez le former et en plus le payer…C'est dur de dire cela, mais je le fais, il me faut bien des salariés, mais c'est triste pour tout le monde. C’est peut être pour cela que ça ne marche pas. En tout cas c’est un élément crucial aujourd’hui on est incompétent lorsqu’on sort des écoles, j’ai vu des gens sortir de l’école sans connaître, la loi de Blondel (17), qui ne savaient pas faire un 2H+G. Comment sortir un bâtiment de terre si on ne sait pas dessiner un escalier? 

 

Peux-tu nous parler de tes influences dans l’architecture contemporaine, est-ce qu’il y a des architectes qui se démarquent dans la production aujourd’hui en France ?


Mes influences sont plus anciennes avec Alvar Aalto, Frank Lloyd Wright, Louis Kahn. Je regarde quand même très peu la production contemporaine, il reste encore des très bons architectes, comme Simon Teyssou (18), Bernard Quirot (19), et plein d’autres que je ne connais pas et qui font aussi des choses superbes mais qu’on ne voit pas dans les parutions connues. Je suis encore très jeune et j’ai surement pas assez lu et pas assez vu donc je m’intéresse surtout aux grands architectes du XXème siècle, Fernand Pouillon par exemple bien sûr que je ne connais pas encore assez. Une fois que j’aurais épuisé tout cela, je regarderais un petit peu plus l'architecture contemporaine.

Que signifie la sobriété architecturale pour toi ?

 

C’est un concept très ancien, Ludwig Mies van der Rohe disait “Less is more" (20) est ce que cela était de la sobriété architecturale, cela dépend du sens que l’on met derrière le terme de “sobriété”. Je pense que c'est ce vers quoi on doit tendre avec chaque bâtiment qui soit peu énergivore et qu’il ne dépense pas d’énergie à la construction, c’est cela la sobriété. C'est Juste une question de bilan carbone, cela n’a aucun rapport avec l’esthétique, ou quoique ce soit, c’est un pur calcul et un pur développement de projet à la fois dans la démarche, dans la construction et finalement dans l'usage du bâtiment qui se rapporte à ce mot là, mais on pourrait l’approcher à d’autres termes. 

 

Est-ce que Mies était sobre ? je ne sais pas. 

 

En tout cas à l’agence, on essaye de faire des bâtiments qui consomment peu à la construction qui dépensent peu pour leur entretien, ceci est très important, surtout lorsque vous faites du logements et du logement social, il ne faut pas que cela coûte trois fois plus dans dix ans pour entretenir la façade. De ce point de vue là oui mais après ce n’est pas à moi de dire et seul l’avenir nous le dira je pense. 

Par rapport à la médiatisation des architectes, comment vois-tu cela ?

 

Aujourd'hui la notion de médiatisation c’est un nouveau monde qui s'ouvre, tout le monde fait sa propre communication avec les réseaux. Pour moi, c’est un capharnaüm d'informations qui sort de partout, sur instagram il y a de très beaux projets mais on ne sait plus où regarder. Dans ce brouhaha de belles images, de beaux projets, je préfère m’intéresser à des choses que je ne connais pas. Je ne connais pas encore les architectes qui ont produit durant le XXème siècle, j’ai une bibliographie très fournie et je me rapproche de cela. Pour l’instant j’y vais petit à petit sur certains projets ou architectes. 

 

Aujourd'hui la communication est très éphémère, on voit que des belles images et c’est un peu la “société du spectacle” à son paroxysme. On ne sait même plus si les projets sont construits car les perspectives sont tellement réalistes. On dit que c'est une belle image, mais on ne sait plus si c’est un beau projet, bien fait, bien conçu, bien pensé. 

Pour cela il faut attendre, il n'y a que les bibliographies avec des détails qui nous permettront de juger vraiment. C’est pour cela que je m'intéresse aux architectes qui ne sont pas à la mode, parce que la mode passe rapidement.

Comment se prémunir du “green washing” dans les projets ?

 

C’est difficile mais j'arrête de regarder les autres projets, déjà parce que cela peut rendre aigri et puis j’essaie de faire bien mon travail, j’arrête de me comparer aux autres, celui qui a fait la plus grande tour, le bâtiment le plus vert…Ce n’est pas très intéressant en vrai, moi j’essaye de faire le peu de travail qu’on a et de le faire bien et jusqu’au bout. C’est comme cela que j’avance, bien sûr j’aime beaucoup les belles choses, mais c’est de la consommation pure et simple, cela ne m’apporte pas grand chose. La consommation pure du dernier projet qui vient de sortir à Paris dans une ZAC quelconque, cela me fait une belle image mais cela ne m’apporte rien dans ma conception du projet. Et comme je ne connais pas déjà la moitié des supers grands projets qui ont existé, j’ai cité quatre grands architectes, mais il y en a énormément que je ne connais pas. Je connais très peu la production de Charles Henry Mackintosh (21) de plein d’autres architectes que j’aimerais bien développer. 

Est-ce que selon toi l’architecture tend à devenir un bien de consommation ?

 

L’architecture est déjà un bien de consommation, la preuve le promoteur est un métier où l'on se fait de l’argent sur le logement. Ce qui n’est pas de la consommation, est quelque chose dont on ne fait pas profit. A partir du moment ou l’on revend des logements cela devient un bien de consommation pour moi, lorsque ça ne l’était pas c’était de l’architecture vernaculaire. En tant qu’architecte nous rentrons dans un métier de services et donc dans ce système de consommation. Pour limiter cet effet, il faut essayer d’apporter une plus value au logement qui aille au-delà de notre propre rémunération. Notre but n’est pas de produire du logements c’est de faire des bons logements qui durent longtemps dans lesquels les habitants se sentiront bien.

Figure 8: Pente de la Croix Rousse, un tissu urbain bas et dense, Lyon.

15.​ Jusqu'en 1968, l'architecture est enseignée à l'École des Beaux-Arts de Paris. Au début des années 60, les bâtiments de l'ENSBA atteignent leurs limites de capacité d'accueil et l'Académisme de son enseignement est de plus en plus en décalage avec la réalité de la pratique architecturale. Une première réforme divise en 1965 les ateliers d'Architecture en trois groupes (A, B et C), le groupe C s'installant dans des bâtiments provisoires sous la verrière du Grand Palais. Ce groupe rassemble des enseignants parmi les plus contestataires, comme Georges-Henri Pingusson ou Georges Candilis. Les évènements de Mai 1968 marquent la rupture définitive d'avec les Beaux-Arts : par le décret du 5 décembre 1968, André Malraux crée les "Unités Pédagogiques d'Architecture" : 5 à Paris et en région parisienne, et 13 en province. L'Unité Pédagogique d'Architecture no 6, constituée des étudiants et enseignants refusant de s'intégrer aux cinq autres U.P.A parisiennes, est créée en février 1969. 

16.​  L'Académie de la Pierre, association présidée par Gilles Perraudin, a pour but de favoriser la connaissance de la pierre dans l'architecture au travers d'expositions, conférences, colloques et ateliers. Comme chaque année l'Académie de la Pierre organise son atelier d'été sur le thème de la construction en pierre massive. Durant ces deux semaines, sont organisés des ateliers sur la conception architecturale en pierre de taille, des conférences de professionnels expérimentés et de chercheurs, des visites de carrières et de réalisations architecturales en pierre.

17.​  La loi de Blondel permet de calculer la hauteur idéale des marches d'un escalier droit et donc d'anticiper son confort d'utilisation. En effet, il est estimé qu'un escalier d'habitation sera confortable si ces marches mesurent en moyenne 17 cm de hauteur, pour giron allant de 26 à 30 cm.

simon-264-1.jpg

18.​ Architecte et urbaniste, Simon Teyssou est né à Paris en 1973, d’une mère américaine et d’un père français. Il passe son enfance dans le Cantal puis fait ses études à Clermont-Ferrand et Aberdeen en Écosse. Diplômé en 2000, il emménage d’abord à Clermont-Ferrand puis retourne dans le Cantal et s’installe au Rouget, bourg de mille habitants.

bernard-quirot-est-desormais-installe-a-pesmes-dr-1576680650.jpg

19.​ Né dans le Jura, il fonde sa première agence à Paris en 1990. Pour Bernard Quirot, l’architecture est avant tout l’art de la construction, de la tectonique et de la proportion qui concrétise un site. Chaque projet architectural est l’expression d’un système de construction sélectionné et du matériau choisi pour sa réalisation. L’architecte est convaincu que les effets néfastes de la logique néolibérale mondialisée et la crise environnementale nous poussent à réfléchir à des alternatives, à un changement de paradigme plus centré sur l’action locale.

20.​  Le courant minimaliste en architecture s'inscrit dans la démarche entreprise au début du XXe siècle par le Bauhaus, notamment par des architectes et designers comme Ludwig Mies van der Rohe ou Marcel Breuer. 

Charles-Rennie-Mackintosh.jpg

21.​ Charles Rennie Mackintosh est un architecte, concepteur et aquarelliste britannique né le 7 juin 1868 à Glasgow en Écosse et mort le 10 décembre 1928 à Londres. Il est le principal représentant de l'école de Glasgow, courant issu du mouvement Arts & Crafts, qui influencera le mouvement Modern Style, pendant anglo-saxon du style Art nouveau. 

bottom of page