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Julien Choppin

Diplômé de l’ENSA la Villette en 2001, Julien Choppin co-fonde à 24 ans le collectif d'architectes ENCORE HEUREUX. Engagés dans les problématiques du réemploi de matériaux et de la responsabilité écologique des architectes, Nicola Delon et Julien Choppin réinvestissent le champ de la pierre sèche au travers du projet Super-Cayrou sur la commune de Gréalou.

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Peux-tu te présenter ?

Je suis Julien Choppin, architecte. J’ai grandi dans le Sud de la France, près de Cahors, dans le Lot et j’ai commencé mes études d’architecture à Toulouse et les ai terminées  à Paris La Villette. A la sortie de l’école j’ai travaillé avec Nicola Delon avec lequel j’ai fondé l’agence Encore Heureux (1) à Paris. 

Dès les débuts, nous avons revendiqué une posture généraliste. A vrai dire nous n’étions pas très impatients de construire. On a démarré par les marges de la discipline en réalisant des installations éphémères et artistiques. Avec le temps nous avons eu accès à des commandes de maîtrise d'œuvre, d’équipements publics culturels ou de centres d’innovation pour des grands groupes industriels. Nous avons donc travaillé à la fois pour des associations avec très peu de moyens et pour des grands groupes du CAC 40.
 

Nous avons pendant plus de 20 ans exploré le monde de l'architecture avec une approche transdisciplinaire. En parallèle nous avons engagé des travaux de recherches qui nous ont amené à réaliser plusieurs expositions manifestes. Une sur le réemploi des matériaux en 2014, intitulée “Matière grise” (2), une autre dans le cadre de la biennale de Venise en 2018 intitulée “lieux infinis” (3) sur le sujet des tiers-lieux et la dernière qui portait sur la notion d'anthropocène intitulée “Énergies Désespoirs“ (4) avec l’école urbaine de Lyon au Centquatre (5) à Paris en 2021. A chaque fois ces expositions ont fait l'objet de publications d’ouvrages collectifs. 

 

Après une longue réflexion, j'ai arrêté mon activité d’architecte au sein de l’agence Encore Heureux, pour me consacrer à la question de l’enseignement. Aujourd’hui, je suis maître de conférences associé à l’école d’architecture de Normandie, je donne des cours magistraux sur la représentation de l’architecture et je conduis des ateliers de projet en 1ère et 5ème année. 

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Pourquoi la construction en pierre sèche résonne-t-elle en toi ?

 

La première chose qui m’a le plus étonné c'est son caractère universel, le fait qu’elle existe sur tous les territoires, dans le monde entier. Il y a des exemples contextuels très différents et c’est assez étrange de se rendre compte que cette technique rudimentaire est très partagée à l'échelle planétaire. 

 

La deuxième chose, c’est son caractère intemporel. Lorsque tu travailles ce matériau et cette technique, tu peux approcher une architecture qui s'affranchit des questions de modes et de styles. L’architecture qui en découle est hors du temps. 

 

Peux-tu nous parler de l’initiative du projet Super-Cayrou ?

Super-Cayrou est la première d’une série d’œuvres d’art refuge sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle à l’initiative de Derrière le Hublot (6), scène conventionnée Art en territoire dirigée par Fred Sancère (7), qui nous a invité à concevoir ce projet dans le paysage. Nous avons proposé un abri rudimentaire qui accueillerait à la fois les pèlerins sur le chemin, les randonneurs ainsi que les habitants de la commune de Gréalou. L’idée était de construire un petit espace pour pouvoir bivouaquer de façon sommaire en passant la nuit et offrir une expérience dans le paysage. 

 

Fred Sancère nous proposé de travailler à Gréalou, dans un endroit magique ayant une vue à 360 degrés sur la vallée du Célé (8). Ce site néolithique accueillait déjà trois dolmens. 

Pour déterminer l’implantation du projet, nous avons effectué un long travail de repérage pour définir  une orientation au couchant avec la vue sur les falaises.  Nous avons trouvé un vieux chêne magnifique près duquel nous avons décidé de bâtir ce refuge en considérant qu’il trouverait là, près de cet arbre, sa place naturelle


Le projet fut également porté par le parc naturel régional des Causses du Quercy (9), qui voulait soutenir la filière pierre sèche en favorisant le recours à des artisans locaux. C’est dans ce climat propice, que nous avons donc eu la chance de travailler.

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Quel type de commande était-ce? 

Ce projet était une commande directe. Je ne connaissais pas personnellement Fred Sancère, mais nous sommes de la même génération et nous avons grandi dans les mêmes endroits. Je pense qu’il était intéressé pour nous faire réfléchir, mon ancien associé Nicola Delon et moi-même, sur notre attachement à ce territoire. Comment revenir “au pays” avec une approche nouvelle et comment construire dans ces paysages qui nous ont vu grandir?


Est-ce que cela a été difficile de trouver des artisans qualifiés ?

 

Pour choisir les artisans nous avons travaillé en collaboration avec le PNR, qui avait déjà identifié de nombreuses personnes, d’une certaine manière labellisées pour leur compétence dans ce territoire. 

 

Nous avons ainsi rencontré, Vincent Caussanel (10) qualifié pour travailler sur ce type d’ouvrages. Avec lui  nous avons réellement coproduit le projet, car il dispose d’un savoir-faire technique et d’une expérience remarquable. 

 

Nous avons collaboré sur la définition de la volumétrie  de la construction, en la modifiant pour optimiser sa forme au vu des impératifs structurels. Ainsi, nous lui soumettions nos dessins et notre maquette en pâte à modeler qu’il a façonné avec nous pour rendre techniquement possible la construction du projet.

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Figure 1. Nicola Delon, associé fondateur, agence Encore Heureux.

5. Le Centquatre est un établissement public de coopération culturelle parisien, ouvert depuis le 11 octobre 2008 sur le site de l'ancien Service municipal des pompes funèbres, au 104 rue d'Aubervilliers, dans le 19e arrondissement de Paris. 

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Figure 3. Fred Sancère. Derrière le Hublot.

6.  Créée à Capdenac-Gare en 1996, Derrière Le Hublot est une association type loi de 1901 qui soutient des projets artistiques et culturels souvent créés pour et avec le territoire et ses habitants. Implantée dans l’Aveyron sur une commune du Grand-Figeac, elle œuvre également dans le département du Lot, ailleurs en Occitanie et sur les Chemins de Compostelle. Scène conventionnée d’intérêt national art en territoire depuis 2020, elle diffuse et produit des spectacles, accueille des artistes en résidence, met en place des médiations avec la population.

8. Le Célé prend sa source dans le Massif Central à 713 m d'altitude sur la commune de Calvinet et se jette, après avoir louvoyé durant 136 kms, dans le Lot à Bouziès tout près de Saint-Cirq-Lapopie.

9. Les causses du Quercy forment une région naturelle française constituée de plateaux calcaires. Ils doivent leur nom à l'ancienne province du Quercy dans laquelle ils se situent. 

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Figure 4. Vallée du Célé

Figure 5. Carte figurant des tracés de chemins en France due à Francis Salet (1937) et dont s'inspira, plus tard, René de La Coste-Messelière. Cette carte de plus de 2 mètres de hauteur, dont il ne reste qu'une photographie, était peinte au Musée des monuments français à Paris.

10. Artisan murailler, il découvre l’art de la construction en pierre sèche enfant avec son grand-père. Titulaire d’un BTS bâtiment et passionné d’histoire et d’architecture, il s’oriente rapidement vers les sujets de restauration du bâti ancien. Pendant 22 années, il rénove et intervient à différentes échelles, de la maison individuelle au monument historique en partenariat avec des architectes du patrimoine. Originaire d’Espédaillac, il travaille dans tout le grand-Sud-Ouest sur de nombreux châteaux, des églises et des chantiers de restauration de façades de toutes époques.

Quelles sont les contraintes associées à une construction en pierre sèche ?

Ce projet a une forme un peu hybride. Au départ les premières intuitions étaient de faire des “tentes” en pierre sèche. Nous nous sommes inspirés de la tente canadienne, ce qui a donné la forme des voûtes intérieures et le dessin des ouvertures triangulaires.

Ces deux voûtes intérieures sont couvertes par des formes plus organiques. L’idée du projet étant de pouvoir dormir à quatre personnes, nous avons  imaginé deux petites cellules regroupées autour d’un espace extérieur qui forme une terrasse orientée ouest vers le soleil couchant. Pour rejoindre ces deux niches, nous avons dessiné une porte avec un linteau en pierre inspiré de l’architecture japonaise. La porte est basse, et oblige à incliner la tête pour passer. Nous avons joué avec les codes d’une architecture sacrée, orientée vers le soleil et déterminée par les éléments naturels.

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Pour définir la forme de Super-Cayrou, nous avons étudié de nombreux exemples d’architecture vernaculaire en pierre sèche dans l’histoire. Notre parti pris architectural est clairement inspiré de ces voûtes anciennes complexes, que nous avons cherché à actualiser. 

Si la technique est traditionnelle, l’usage du bâtiment est contemporain. Nous avons recherché une forme de complémentarité entre tradition et modernité. 

 

Concernant les techniques de construction, nous avons utilisé les règles de l’art et le guide des bonnes pratiques de construction en pierre sèche (11). Même si nous avons dessiné des choses assez maladroites au début, nous avons été guidés par Vincent Caussanel qui a modifié des rapports de poids pour équilibrer l’ensemble. Grâce à un éventail de techniques variées, Vincent Caussanel a pu modifier notre esquisse pour rendre le projet constructible. C’était à la fois un défi et un grand plaisir de partager la conception de cette construction. 

Figure 7. Maquette de l’esquisse finale “Super Cayrou” en pâte à modeler. © Encore heureux, architecte Julien Choppin.

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Figure 8. Esquisse avant-projet croquis et figures projet super Cayrou. © Encore heureux, architecte Julien Choppin.

Comment avez-vous trouvé les pierres ?

Ces territoires sont riches de pierres, il suffit de gratter un peu le sol et on trouve facilement des lauzes. En l'occurrence, nous avons plutôt eu un problème réglementaire lié à l’extraction des pierres. En France, il est possible d’ouvrir une micro-carrière pour la réhabilitation du patrimoine, mais dans notre cas, il s’agissait d’une construction “neuve” et nous avons donc dû négocier avec  la préfecture une dérogation, que le PNR a réussi à obtenir après une année de pourparlers.  

 

On a finalement trouvé un gisement à 15 km du site du projet, où nous avons pu gratter la couche superficielle du sol pour récupérer des pierres à bâtir. Nous les avons classées puis acheminées sur le site. Finalement ces pierres étaient encore terreuses et n’avaient jamais servi et il devient assez difficile de trouver de la pierre de réemploi, qui est souvent réservés pour restaurer les projets patrimoniaux.

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Figure 9. Chantier construction © Encore heureux, architecte Julien Choppin © photo Pieter Dijkstra. Entreprise Vincent Caussanel. 

La pierre sèche a-t-elle de l'avenir dans l’habitat ? Avec ton regard de praticien, quel est l’avenir et les possibilités d'emploi de la pierre sèche ?

La construction en pierre sèche est souvent associée à des aménagements paysagers, des ouvrages d’art  et plus globalement à des éléments structurants pour les paysages : des terrasses, des murets... Sur le territoire du Quercy, on trouve aussi beaucoup de petites constructions de grande qualité que sont les abris de bergers. On peut littéralement parler de “monuments paysans” auxquels les habitants sont très attachés. 

 

A titre personnel, je ne sais pas quel sera l’avenir de la pierre sèche dans la construction. Mais ce matériau répond à des impératifs environnementaux de frugalité, de réemploi, d’authenticité tout en étant  une technique qu’on pourrait qualifier de stéréotomie du “ready-made”, c’est-à-dire qu’on récolte des pierres et qu’on peut les assembler ensemble sans mortier, sans rien d’autre que l’intelligence de la main et du geste..

 

Il faut être attentif aujourd’hui à employer localement les ressources. Notre projet est peut-être un contre-exemple dans sa radicalité car je pense qu’il ne faut pas construire entièrement en pierre sèche, mais plutôt proposer la pierre où cela est pertinent: les assises des murs, les fondations sur lesquelles on posera une structure en bois par exemple. Il faut utiliser la pierre sèche à bon escient, dans une vision globale des ressources du projet, c’est-à-dire avec une réflexion sur la hiérarchie d’emploi des matériaux. 

La réflexion doit être approfondie sur ce rapport biosourcé et géo-sourcé, avec des pondérations envisageables. Dans cette idée, il faudrait majoritairement construire en matériaux bio-sourcés avec des éléments qui se renouvellent très vite comme la paille et plus généralement les fibres par exemple. Mais une chose est certaine, la pierre sèche fait partie  des matériaux naturels à utiliser pour construire l’architecture décarbonée de demain.

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Figure 10. Esquisse figure, projet Super Cayrou. © Encore heureux, architecte Julien Choppin.

Pourquoi la construction en pierre sèche est-elle une aventure humaine ?

 

Lorsque l’on travaille avec ce genre de matériau, il y a  une épaisseur anthropologique qui transcende  l’histoire de notre discipline. En construisant ce bâtiment, j’ai eu pour la première fois, l’impression de faire un acte architectural fondamental.

 

C’est fascinant à quel point, assembler des pierres les unes sur les autres, avec une technique aussi particulière, peut-être si gratifiant. La relation avec l’artisan Vincent Caussanel a été très forte et j’estime que nous sommes complètement cosignataires du projet. 

 

Cette œuvre d’art refuge est toute petite, mais le public a adhéré immédiatement car cette matière  touche directement la sensibilité des habitants de ce territoire, au-delà des questions stylistiques. Pour moi, c’est donc bien le matériau qui porte en lui cette valeur d’attachement fondamentale. En tant qu’architecte, nous avons le devoir de la mettre en œuvre avec respect et fierté, car il n’est pas question de passéisme mais il s’agit plutôt de continuer cette fabuleuse histoire constructive. 

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La mise en œuvre de la pierre sèche est - elle plus chère ? Le coût de la main-d'œuvre peut-il repousser certains clients ?

 

L’enveloppe totale du budget du projet était de 60 000 euros. Mais selon moi, le projet avait une valeur démonstrative double, dans l'engagement artistique qui portait un regard sur le territoire, et dans l’engagement technique qui valorisait des savoir-faire. Il est donc difficile d’en déduire un modèle économique, l’idée était avant tout de bâtir un projet prototype, porteur de symbole pour revaloriser cette filière de construction. 

 

Au départ du projet, nous avions l’intention d’organiser des chantiers participatifs pour diminuer le coût de la construction, mais nous nous sommes rendus compte avec Vincent Caussanel, que la technicité du chantier était importante et peu adaptée à la participation et puis la COVID s’est rajoutée à ces difficultés.Cependant le caractère privilégié de cette commande nous a permis de mener l'expérimentation jusqu’au bout.

 

D’autres projets sont-ils prévus en pierre sèche ?

Le projet, Fenêtres sur le paysage (12) continue encore aujourd’hui. A ce jour, six ouvrages ont été construits par des architectes et des artistes. Le  principe étant que les projets naissent des territoires où ils s’implantent, c’est pourquoi on retrouve par exemple la pierre sèche dans le dernier des projets en cours de réalisation, conçu par la designer  Constance Guisset. Il y a eu un travail sur le réemploi du bois par l’architecte Elias Guenoun, ou sur la récupération de coquilles Saint-Jacques par l’architecte Sara de Gouy. Car l’idée est toujours d’associer des savoir-faire et  des  territoires, mais la pierre sèche n’est pas un leitmotiv systématique. 

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En quelle mesure le projet super Cayrou a été un projet pilote pour toi ?

 

Le projet Super-Cayrou nous a confronté à une forme de proto-architecture, dans le registre de l’autoconstruction,mais l’architecte peut néanmoins trouver une place dans le processus de conception. Cela a été assez difficile, car il a fallu inventer nos outils. En effet, il est très difficile de modéliser ces types de voûtes en pierre sèche. Nous avons pu formaliser le projet grâce à de la pâte à modeler. La pierre sèche a en quelque sorte mis en défaut nos compétences d’architecte, de maîtrise mais cela nous a poussé dans nos retranchements et c’est dans le dialogue avec l’artisan que nous avons pu trouver les solutions. Pour moi Super-Cayrou fut  un excellent  exercice pour terminer ma carrière de maîtrise d'œuvre. Ce projet a finalement conclu  mon parcours de concepteur en renouant avec les débuts mythiques de l’architecture. 

 

En effet, cela faisait un certain temps que je réfléchissais à continuer ou non ce métier. Je questionnais ma pratique, et j’ai décidé d'arrêter d’exercer sous cette forme.. 


A posteriori, je peux dater le début de cette réflexion introspective, avec  notre  recherche avec Nicola Delon, sur le réemploi des matériaux dans le cadre de l'exposition Matière Grise. Nous questionnions alors les conditions d’utilisation de la matière dans l’architecture et ce nouveau paradigme écologique a fissuré peu à peu une partie de mes convictions d’architecte.

Retranscription Antoine Basile, architecte des patrimoines

12. Nés d’histoires et récits, les chemins de Compostelle offrent un terrain formidable pour nourrir nos imaginaires et ceux des artistes. Tête chercheuse, jambes voyageuses, Derrière Le Hublot a imaginé le parcours artistique Fenêtres sur le paysage en 2016. Il se développe depuis sur le GR ® 65 avec de nombreux partenaires et territoires à travers : Les œuvres d’art refuges (première série de sept œuvres d’art refuges réalisées entre 2018 et 2023). Les rendez-vous et créations artistiques éphémères qui invitent à parcourir autrement ces paysages.

Figure 12. GR 65 et oeuvres d'art refuge

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Figure 13. Sara de Gouy. Designer d’espace Architecte diplômée d’État. Artiste plasticienne

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Figure 14. Constance Guisset

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