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Omar Sefraoui est un entrepreneur du bâtiment spécialisé dans l'isolation thermique, résidant à Casablanca. Son expertise se concentre sur la création de structures écologiques et durables. En tant que propriétaire d'une maison écologique, il met en pratique ses convictions en matière de construction respectueuse de l'environnement. Sa résidence est caractérisée par l'utilisation d'adobes pour le remplissage des murs, une technique traditionnelle réinterprétée.

Bonjour Omar Sefraoui, peux-tu te présenter ? Qu'est-ce qui t'a poussé à construire ta maison en terre à Casablanca ?

 

Bonjour, je m’appelle Omar Sefraoui. Avant d'avoir décidé de construire une maison en terre, j'ai eu un parcours particulier. Quand je suis rentré au Maroc, j'étais plutôt dans la finance, dans une banque d'affaires. Ensuite, j'ai basculé dans le domaine du matériau chanvre pour la construction, ce qui m'a permis d'apprendre beaucoup de choses sur la partie thermique du bâtiment, et la façon dont il interagit avec son environnement, etc. C'est ce qui m'a permis justement de m’intéresser au matériau de la terre crue, et de vouloir construire une maison en terre crue en plein Casablanca.

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Figure 1. Coupe de la maison O, Casablanca

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Est-ce que tu peux nous parler des difficultés et des appréhensions que tu avais peut-être au début, pour ce projet plutôt exceptionnel, surtout en plein Casablanca ? C’est la seule maison récente construite en terre ? Quelles étaient tes appréhensions ?

 

Lorsque j’ai décidé de construire en terre crue en plein centre de Casablanca, de par mon expérience avec le béton de chanvre où il y avait beaucoup plus de défis pour des clients, j’avais moins de pression par rapport à moi-même, sachant que j’avais déjà construit 14 maisons en béton de chanvre à Benguerir, à l’OCP. Le chanvre est beaucoup plus sensible, il peut pourrir, du coup il faut le mettre tout le temps en perspirance, le mur doit respirer et ne peut pas être confiné entre des dalles ou du ciment. Avec le chanvre, c’est beaucoup plus difficile à gérer. Alors, faire de la terre crue en plein Casablanca, ce n’était pas difficile pour moi. Par contre, il fallait respecter certaines normes. Le jour où nous avons voulu construire en terre crue, nous voulions utiliser la terre du chantier. Mais après quelques tests, au final nous avons dû aller la chercher pas loin, avec le moins possible d'empreinte carbone et donc à moins de 50 km. Nous avons fait six voyages de camions, et nous avons rempli tout le quartier avec des petites briques de terre crue. Il n’y avait pas d’appréhension, notamment c’était parce que nous ne voulions pas bousculer entièrement la façon de construire, en construisant une maison avec des murs porteurs en terre crue. Cela était techniquement faisable. Cependant, nous voulions conserver des portées intéressantes. Personnellement, je suis plus de l’avis de combiner une structure béton armé avec un remplissage de terre crue. Nous avons des murs de refend de 40 à 50 cm d’épaisseur, puis nous avons ajouté une mousse. La mousse, c’est mon métier aujourd’hui dans le bâtiment. Il s’agit d’une mousse qui est “perspirante” (1), ce qui nous permet de garder dans ce complexe de mur, toute la “perspirance” nécessaire au bon fonctionnement hygrothermique de la terre crue. À l’intérieur, les murs sont enduits de terre ou de plâtre. Ainsi, nous avons un bon μ (2) de perméabilité à la vapeur d’eau. On laisse la possibilité à la vapeur d’eau de sortir des murs, et c’est pour cela que l’air est agréable en plein milieu de la maison. En termes d'hygrothermie, c’est un avantage important de la terre crue. En plus de cela, la terre crue se caractérise par un déphasage thermique : lorsque le soleil de midi fait chauffer nos murs, ces murs vont restituer la chaleur avec un déphasage de 12 h, c’est-à-dire vers minuit, une heure du matin. Les murs nous renvoient cette chaleur par radiation, de façon douce. Donc, pendant les périodes d’hiver, la maison est zéro climatisation, zéro chauffage. Nous avons voulu éviter tout suspens lié à la consommation d’énergie, et nous aurions même pu être autonomes. Nous bénéficions ainsi de la chaleur en hiver et de la fraîcheur en été.

1.  Une paroi perspirante est une paroi formée de matériaux qui vont favoriser l'évacuation de l'humidité sous forme liquide (capillarité) ou sous forme de vapeur (perméabilité à la vapeur d'eau). L'emploi de matériaux capillaires favorise le transfert de la vapeur d'eau et l'assèchement des parois. Un habitat qui respire diminue l'humidité présente par une mécanique naturelle et autonome.

2. μ (se prononce “mu”) : cette valeur indique l’aisance pour un matériau de laisser passer la vapeur d’eau. Il s’agit du rapport entre la perméabilité à la vapeur d’eau de l’air sur la perméabilité à la vapeur d’eau du matériau. Il indique la perméabilité relative du matériau comparée à celle de l'air. Plus μ est grand, moins le matériau est perméable à la vapeur.

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Depuis combien de temps habites-tu dans cette maison ? Quels retours d'expérience thermiques ?

 

Depuis octobre 2017, cela fait quatre ans. Il faut dire que les architectes, le couple ArchiBionic (3), ont parfaitement compris le concept. À la base, j’avais donné un cahier des charges qui, au final, a été complètement respecté. Il est vrai que nous n’avons pas eu beaucoup d’échanges derrière, c’est-à-dire que ce qui a été proposé le premier jour a été maintenu à 90 ou 95%. Donc je pense qu’il y a eu une compréhension du cahier des charges dès le départ, et nous partageons un peu les mêmes valeurs, que ce soit dans la terre crue, ou dans la maison bioclimatique, par rapport à leur travail en amont. Ils ont fait plusieurs projets, comme un riad autonome à Rabat. Donc cette interaction avec les architectes a été dès le départ intéressante. Nous n’avons pas eu à modifier quoi que ce soit pendant l’exécution et pendant la vie du bâtiment aussi, depuis 3 ou 4 ans nous n’avons rien modifié. En hiver, on peut avoir trois semaines un peu rudes, parce que nous avons eu des infiltrations au niveau de l’aluminium que nous sommes en train de gérer. Pendant ces trois semaines où il fait un peu froid, la cheminée fait l’affaire, et nous n’avons pas besoin de chauffage. Nous n’avons ni serpentin, ni chauffage central, ni gaz, et nous n’avons pas froid. Je tiens à préciser que c’est aussi l’humidité qui joue un rôle parce qu’à l’air sec, on peut supporter 17 degrés, tandis qu’à l’air humide, on peut à peine supporter 21 degrés. Donc, le fait d’avoir une certaine “perspirance” des murs dans la maison permet également d’avoir un confort à de basses températures. 

On associe souvent la construction en terre à une construction traditionnelle, parfois à une image de précarité. Est-il difficile aujourd'hui de construire en terre au Maroc ? Qu'évoque la terre pour les gens ?

 

Lorsque j’ai fait le choix de construire en terre, j’ai voulu garder la liberté de le faire à ma manière, étant donné que je suis dans le domaine du bâtiment. Nous avons donc opté pour une ossature béton armé avec de grandes portées, avec un remplissage de murs en terre crue. Comme vous avez pu le voir en visitant la maison, on ne devine pas que c’est une maison en terre. Je voulais que les gens qui viennent pensent que c’est une maison “normale”. L’intérêt est de pouvoir donner accès à ce matériau de construction, sans devoir changer de mode de vie, ou de passer pour une personne un peu farfelue.

Construire en terre, pour moi, est plus une question de confort, que de volonté politique ou de militantisme. Aujourd'hui je peux affirmer, par expérience, que la terre crue améliore énormément le niveau de qualité et de confort de vie.

 

Dans le monde entier, il y a très peu de pays qui sont experts en terre crue, tels que le Yémen, ou d’autres. Mais le Maroc, en particulier, fait partie de ces rares pays qui ont gardé cette technicité. Or nous étions en train de perdre ce savoir-faire, pendant ces dix dernières années notamment. Donc, j’ai vu qu’il y avait quelques initiatives, comme le centre de la terre avec Denis Coquard (4), il y a le travail de Salima Naji (5), également Jaafar Sijilmassi qui fait un projet en ce moment, etc. Mais ce sont des initiatives séparées, plutôt qu’un mouvement global. Idéalement, il faudrait créer ce mouvement, parce que la technique est présente au Maroc. Pour mon projet, j’ai pris quelqu’un qui a déjà construit en terre, je l’ai amené en chantier, et en trois jours il a formé tous les maçons. Ces maçons, il y a quelque chose qui s’est réveillé en eux, par rapport à leur enfance. Ainsi, il fallait juste ajuster quelques petits points, mais au final ils se sont très vite adaptés au bout de deux jours. Et c’est une entreprise générale de gros œuvre classique de Casablanca, que nous avons formée en deux ou trois jours. C’est quelque chose qui se fait très facilement.

 

Par ailleurs, il est possible de produire des matériaux tels que les BTC (Blocs de Terre Comprimés). Il y a aujourd’hui un projet de production à Beni Mellal, un autre à Ben Slimane. Mais celui de Beni Mellal peut aboutir à quelque chose d’assez intéressant. Idéalement, il faut éviter de transporter les BTC à plus de 100 km. Mais, dans un premier abord, si on commence à avoir cette démarche-là, n’importe quelle maison, ou n’importe quel immeuble peut se permettre d’avoir une paroi entièrement en terre crue.

 

Dans notre cas, notre complexe de mur est un peu différent. Nous avons mis de la terre, pour avoir de l’inertie, puis nous avons mis une mousse par l’extérieur, une mousse qui est très peu dense (7 kg/m3), en sachant que l’air est à 4 kg/m3. Cette mousse contient seulement 1% de matière première, donc c’est quelque chose qui, en terme de bilan carbone, n’est pas trop négatif. En plus le μ (“mu”) est de 4, ce qui fait que nous avons une perméabilité à la vapeur d’eau, donc la vapeur d’eau va s’évacuer. On ralentit le déphasage. Puis nous avons une lame d’air et un support d’enduit en roseau : j’ai appris cela par mon expérience avec le béton chanvre, grâce à Laurent Moulin (. C’est une paroi en roseau à laquelle nous avons appliqué un enduit à la chaux en deux couches.

 

Le choix de ce complexe de mur ne vient pas des architectes, mais de mon expérience dans le béton de chanvre, la paille, la terre crue, la mousse, et de ce qu’on réalise dans les maisons au Maroc. Chaque élément travaille tout seul, l’enduit, la lame d’air, la mousse. La mousse est étanche à l’air pour améliorer le confort d'hiver, et la terre améliore le confort d’été. Donc il fait toujours assez frais en été.

 

Utiliser la terre crue comme remplissage est facile à faire. Arriver au stade de faire des murs porteurs, des immeubles porteurs en terre, c’est plus ambitieux, plus poussé. Nous n’en avons pas forcément besoin, pour l’instant. L’idée est de vulgariser la méthodologie de remplissage des murs pour avoir un confort immédiat, plutôt que d’aller à l’encontre du ciment ou du béton armé dès le départ. Mais vouloir construire en terre porteuse est une cause plus noble, bien entendu.

Figure 2. Plan de la maison O, Casablanca.

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Prenons l’exemple d’une personne sans expérience, qui veut construire une maison en terre. Est-ce que tu l’encouragerais, est-ce à la portée de tout le monde ? Est-ce abordable ?

 

Je l’encouragerais. J’ai, au moins une fois par mois, une discussion avec des gens qui m‘appellent pour parler de mon projet (des architectes, des particuliers …). J’échange avec eux, et je les encourage vivement à le faire. Je peux aussi les orienter, parce qu’il y a au moins une dizaine de personnes, à travers le Maroc, qui s’y connaissent vraiment dans la terre crue : comment la stabiliser, comment faire des BTC, … Il est possible aussi de travailler de façon traditionnelle, comme ce qui se fait dans les villages, cela peut bien fonctionner. La terre est ductile, elle prendra la forme qu’il faut. Mais un bâtiment bouge toujours. Pour éviter d’avoir des défauts de finition dans sa maison, et avoir une réalisation propice au cadre urbain, il existe des petits ajustements, des conseils que je donne gratuitement. Les artisans qui viennent pour former les gens ne coûtent vraiment pas chers, et donc ce sont des techniques que les gens sont fiers de partager et de transmettre. C’est quelque chose que j’encourage les gens à faire. C’est vrai qu’on peut avoir une appréhension de départ, on peut penser que cela prendra plus de temps, et qu’on a envie de vivre rapidement chez soi. Moi, je n’ai pas mis plus de temps. Cette question peut être vue avec l’entrepreneur et l’architecte, mais cela peut être assez rapide.


Y a t-il aujourd'hui assez de personnes qui connaissent et ont du savoir-faire dans le domaine de la terre crue au Maroc ?

 

Non. Il n'y en aura jamais assez. On en est encore très loin. Le fait que j’aie créé cet environnement, cette maison, me place un peu comme un petit rond-point parce que je vois ce qui se passe.

Souvent, quand un jeune architecte vient au Maroc, il s’intéresse à la terre. Dernièrement, c’était le cas pour la fille d’un ami à moi qui travaille au Canada, qui s’est passionnée pour la terre. Elle a travaillé à Vancouver, a fait plusieurs certifications de projets, et elle veut aujourd’hui amener cette idée à New York … Et donc il y a plusieurs initiatives comme cela qui viennent, des électrons libres. Il y a beaucoup de capacités, ce sont des gens qui voient grand et qui savent ce qu’ils veulent faire. Cependant, il n’y a pas un mouvement homogène. Il n’y a pas de centre, d'institutions, de règles professionnelles à suivre, de normes … Donc, effectivement, ça va aller dans tous les sens, chacun va amener son idée. La terre peut le permettre parce que même si on peut faire des erreurs cela ne se voit pas. Mais j’encourage beaucoup d’architectes surtout, parce qu’il y a un certain nombre de jeunes architectes qui s’y intéressent sans l’appliquer. J’encourage d’abord ceux-là parce qu’ils sont intéressés. Ils lisent, ils regardent ce qu’il y a sur le net, ils regardent des technicités mais se disent peut-être qu’ils ne pourront jamais le faire. On veut les encourager à créer la possibilité de le faire. Idéalement ce serait un projet avec un particulier qui serait prêt à prendre des risques. Pour les architectes, c’est généralement avec les particuliers qu’il peut être possible de “franchir le pas”. Ils pourraient d’abord faire une maison comme cahier des charges, comme le client le veut, et changer uniquement la paroi. C’est la paroi qu’on prend en considération. Ce serait la première étape, changer le matériau en terre crue.

Bien entendu, cette maison en particulier n’a pas été conceptualisée juste parce qu’il y a de la terre, mais aussi par rapport aux ouvertures. Nous récupérons aussi de la lumière zénithale. Nous avons presque zéro fenêtre en partie Nord, une grande ouverture Est-Ouest, une ouverture pour l’hiver, dont la hauteur est faite de telle sorte que le 21 décembre on puisse récupérer le maximum de lumière en profondeur. Certes, il y a un point de départ qui consiste à se dire “on bascule en mode terre”, mais si on veut zéro clim et zéro chauffage, il faut savoir prendre ce que la nature nous donne, le réchauffement du soleil etc. Donc après avoir fait ce premier pas, la deuxième étape serait la conception de la maison d’une manière globale. Mais je les encourage.

La terre est donc un matériau qui s’associe bien avec les concepts bioclimatiques?

 

C’est cela. Par ailleurs, la maison est équipée de 12 panneaux photovoltaïques sur le toit. Nous avons un chauffe-eau solaire, une citerne de récupération d’eau de pluie. Nous aurions pu être autonomes en électricité avec les panneaux, mais en plein centre de Casablanca, il était difficile de ne pas se raccorder au réseau Lydec. D’ailleurs nous n’avons pas le compteur définitif. Pour nous, la batterie n’est pas encore rentable parce que nous mettons plus de dix ans à amortir la batterie, qui est garantie dix ans. En revanche, les architectes avec qui j’ai travaillé, eux, ont déjà réalisé des bâtiments 100% autonomes comme le ryad de la médina de Rabat. Donc, construire en terre n’est pas la disposition à prendre, mais cela contribue très largement. C’est parce que nous avons choisi la terre, que nous pouvons atteindre ce niveau d’efficacité. Si nous avions choisi des parpaings ciment, cela ne marcherait pas … Ça c’est sûr.

Figure 3. Photo perspective sur la maison O, Casablanca.

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Le coût de la construction d'un chantier en terre, est-il plus cher ?

 

Quand nous avons démarré le projet de la maison, le jour où je me suis assis avec l’entreprise générale, j’ai discuté avec eux, en prenant dès le départ la décision de construire en terre. Donc, l’entreprise générale était prête à “jouer le jeu”. Cela veut dire ne pas amener un surcoût particulier. Donc nous avons procédé étape par étape. Premièrement, je vais former des gens. La matière première, elle est abondante, c’est de la terre !

En fait, ce qu'on pourrait appeler “surcoût” par rapport à la construction d’une maison classique, serait le fait que la terre crue met plus de temps que le parpaings. Mais en réalité, ce n’est pas vraiment le cas, parce que la main-d'œuvre au Maroc n’est pas tellement chère. Donc cela n’a pas vraiment coûté plus cher. L'avantage au Maroc, c’est que ni la main-d'œuvre, ni la matière première de la terre ne coûtent cher. Ainsi, normalement il ne doit pas y avoir de surcoût. Dans certains pays où la main d'œuvre est plus chère, il va falloir trouver un équilibre entre la main-d'œuvre et les matériaux qui coûtent cher aussi … Dans tous les cas pour nous dans ce projet, il n’y a pas eu de surcoûts.


Qu'est ce que ça évoque pour toi la construction en terre ?

 

Moi j’ai choisi la terre pour une raison technique, essentiellement. Pour avoir de la fraîcheur, il faut de l’inertie, il n’y a pas vraiment d’autre solution ! J’ai même pensé à mettre des murs en plein milieu de la maison qui récupèrent la chaleur du soleil. C’est purement technique, ce n’est pas sentimental. Le choix de la terre devrait être presque systématique. Et si on ne peut pas, alors on bascule vers autre chose. Mais il faut se poser la question d'abord. Si on n’arrive pas à construire avec de la terre crue, on peut réfléchir aux autres options (parpaings, brique cuite, …). Mais la terre est meilleure, même par rapport à la pierre, en termes d'inertie et de déphasage … Il est essentiel de penser le bâtiment en termes d’inertie.

 

Dans la conception thermique du bâtiment, il y a deux “religions” : l’inertie et l’isolation. Malheureusement, le monde entier a choisi l’isolation parce que c’est beaucoup plus pratique. C’est facile à industrialiser, on peut ramener les matériaux sur place, on peut les stocker, les vendre et les mettre en œuvre à la dernière minute. Dans les années 1960-1970, en Europe, cette pratique a fait disparaître les techniques traditionnelles, tout ce qui était ancestral, avec de nombreuses initiatives de personnes etc. Parce que c'était beaucoup plus facile d’amener une laine de roche ou une laine de verre et de la poser. Avec cela, on était protégé  pendant 7 à 10 ans. Par la suite, il faut rénover parce que cette laine se décortique. Elle est attaquée par l’humidité, et moisit. En France ou en Europe, est apparue cette culture du jetable : on monte au grenier, on jette toute l’isolation et on remet tout. C’est devenu presque naturel de monter refaire son grenier. Or, ceci n’est pas normal. En France, il y a des maisons construites au XIXème, XVIIIème siècle, qui n’ont pas bougé. Ce n’est pas tous les dix ans qu’on refait les laines … Donc, il faut construire quelque chose de durable. On ne peut plus se permettre de construire des choses périssables à dix ans. Donc la réflexion sur la terre crue, les matériaux biosourcés, c’est quelque chose qui émerge. Je l’ai vu, depuis 2005, en ce qui concerne l’isolation en Europe. Mais c’est encore assez timide.

Qu'est-ce qui pourrait bloquer administrativement ou réglementairement un projet en terre aujourd’hui un peu innovant ? Est-ce que tu as eu des soucis, y avait-il des gens qu’il fallait convaincre ?

 

Du côté administratif, nous n’avons pas eu de difficultés à autoriser le plan de cette maison parce qu'en fait nous ne touchons pas à la structure. Au Maroc, il est très important de gérer la structure et l’étanchéité, avec le bureau d’étude et le bureau de contrôle. Les contraintes à respecter concernent beaucoup plus la structure et l’étanchéité, plutôt que le remplissage de murs. Dans le remplissage de murs, il n’y a pas beaucoup de contraintes, donc administrativement, rien ne change.

En revanche, les architectes qui cherchent à réaliser des maisons en murs porteurs en terre, m’ont témoigné qu'il y a une vraie réticence là-dessus. On ne peut pas appeler ça un lobby, mais il y a quelque chose qui doit se débloquer dans la mentalité entre les bureaux d’études et les bureaux de contrôle, sur le sujet du mur porteur. Effectivement, on ne va pas laisser les gens faire n’importe quoi, mais il y a un travail qui doit se faire, sur une réglementation ou une base qui puisse permettre de garantir un mur porteur. En zone rurale, il est possible qu’on laisse faire. Mais dans l’urbain, si l’on touche les murs porteurs, on rencontre beaucoup plus de complications … Ici, avec la structure en béton, j’ai les mêmes bénéfices thermiques que si j’étais en terre. Il faut simplement faire une simulation thermique dynamique, ou un test d’étanchéité à l’air, cela ne veut pas dire qu’on ne réussit pas une maison.

Figure 4. Remplissage Adobes

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