
L'entretien
Salut Timur, est-ce que tu peux te présenter?
Et bien je m'appelle Timur Ersen, je suis architecte et artisan à mon compte pour les deux activités, j'habite à crest dans la drôme, j’ai été diplômé architecte en 2012, maintenant je fais principalement artisan pisé et un peu d’architecture.
Tu nous dis que t’es artisan, comment peux tu nous raconter cette évolution d’architecte à artisan.
En fait, avant d'être architecte, j’ai grandi à la campagne ou les étés je faisais maçon pour gagner un peu de sous dans la boîte dans laquelle mon oncle travaille. Donc j’ai d’abord fait un peu de maçonnerie ensuite j’ai fait l’école d'architecture à Lyon juste après le lycée avec un an d’Erasmus en suisse et ensuite la dernière année de diplôme en M2 j’ai décidé de faire le Solar décathlon (1), c’était en partenariat avec l’école de Grenoble donc j’y allais pas mal et c'est grâce à ce projet et à Craterre (2) que j’ai découvert dans une conférence, que j’ai vu le travail de la construction en terre et celui de Martin Rauch et en fait à la fin du diplôme, je ne savais pas trop quoi faire et je suis plus rentré dans le travail de martin Rauch et j’ai un peu halluciné de voir ce qui était possible de faire avec la terre et je me suis dis si ca c’est possible il faut que j’apprennes parce que c’est trop beau. Donc je l’ai appelé et c’est tombé pile a un moment ou il cherchait quelqu'un pour un projet à Bâle avec Herzog et De Meuron ou il faisait une nouvelle halles pour Ricola. Du coup il m’a dit de venir bosser, je ne savais pas trop, un peu comme tout le monde, s’il est architecte ou artisan. Mais en fait, pour l’entretien il fallait venir avec chaussure de sécurité et équipement et j’ai passé une journée avec eux sur un chantier et j’ai trouvé ça cool. Donc il m’ont pris et j’ai bossé un an là- bas sur le chantier en tant qu’ouvrier. Donc je me suis formé, j’étais finalement apprenti pendant un an. Ensuite je suis retourné un peu en architecture chez Anna Heringer (3) qui est une architecte allemande pour faire ma HMONP. Ensuite j’ai eu l’occasion d'être archi et ouvrier sur un projet au Mexique où j'ai dessiné le projet et j’étais ouvrier. Donc j’y suis allé. Et une fois que j’ai goûté à ça, ça ne me faisait pas du tout rêver de revenir en France et de travailler dans une agence. C'était trop bien d'être sur le chantier et du coup j’ai décidé de partir en Turquie pendant deux ans car je suis moitié turque. Et ca pour essayer de proposer ce que j’avais appris chez Martin Rauch parce que je voyais qu'en Turquie il y a les même problématique que partout ailleurs: on a généralisé la construction en béton. Qu’on aille au Mexique, dans le sud de la France, à l’est au sud, partout dans le monde on construit quasiment pareil partout. Donc je me suis dis que c’est peut être l’occasion de partager ce que j’ai appris en suisse et de voir si en Turquie il y a un écho. Car là- bas il y a beaucoup de constructions en terre traditionnelle. Mais elle a été presque oubliée. Donc j’ai essayé pendant deux ans de proposer la construction en pisé. J’ai fait quelques petits trucs mais ça n'a jamais vraiment abouti sur des vrais projets. J’en ai eu un ou j'étais architecte et artisan mais il s’est abandonné au bout de 6 mois. Sinon j’ai fait des workshop, des expérimentations, je me suis auto formé en fait. Parce que c’est pendant le chantier chez les artisans qu’on devient artisans. Donc autoformation et ensuite je suis revenu en France car en 2016 il y avait Terra 2016 et en fait pendant deux ans en Turquie j’avais un peu l’impression de forcer les gens à construire en terre. Du coup je perdais bcp d'énergie a essayé de convaincre et à ce moment là en France j’ai halluciné. Je suis allé a Terra 2016 et il y a plein de gens qui construisent en terre, il y a une grosse communauté. Donc je me suis dis que je perdais trop d'énergie à construire en Turquie, il valait mieux retourner en France et voir si je sers a quelque chose avec ce que j’ai appris et en fait quand je suis revenu ici on s’est installé dans la Drôme et en fait on a commencé à me demander “ah bah tu sais faire un sol en pisé” ok bon bah je fait un sol en pisé. Puis ensuite on m’a demandé un mobilier en pisé. Donc j’ai passé un cap maçonnerie en validation des acquis et je monte mon entreprise. Donc je commence a acheter un peu de matos et petit à petit on me demandait plus de choses et en fait je ne voulais pas forcément être artisan à la base, je n’y avais pas penser. Donc en fait je le suis devenu parce qu’on m'a demandé de faire du pisé donc je l’ai fait petit à petit et j’ai l’impression que maintenant c’est plus facile de faire des choses en pisé en tant qu’artisan plutôt qu’en tant qu’architecte. Donc voilà ça c'est développé depuis quatre ans. Donc j’ai créé l'Atelier Kara en 2017 et depuis 4 ans je fais des bâtiments publics, du mobilier très rarement mais un peu, plutôt des murs, des sols en terre, publique comme privé.
1. compétition biennale internationale d'architecture, de design, d'urbanisme et d'ingénierie ouverte à des équipes universitaires pluridisciplinaires


Tu as abordé le fait que tu habites en Drôme, est-ce que tu peux nous parler de cette région où on trouve beaucoup de pisé.
En fait déjà la région Rhône alpes qui est la région traditionnelle ou il y a beaucoup de pisé, moi j’y ai grandis, vers Rouane, ou il y a beaucoup de pisé que je n’avais jamais vu d’ailleurs car si tu ne mets pas un mot sur quelque chose tu ne le vois pas. Et la Drôme plus spécifiquement ou il y a aussi du pisé on s’est pas installé la pour ca mais c’est juste que ma compagne qui est architecte quand on est revenu de Turquie, moi je partais de zéro donc je n’avais pas d’endroit. Elle a trouvé un travail en tant qu'architecte ici donc on est venu s'installer un peu par hasard. Il n’y avait pas trop de travail et elle en a trouvé un ici, et elle est de la région. Donc je l’ai suivi, elle l’avait fait en Turquie donc je l’ai fait ici. C’est un peu un hasard on va dire.
Mais tout le monde nous dit qu’il n’y a pas de pisé dans le sud de la Drôme, que c’est plutôt au nord en Isère etc effectivement c’est quasiment que des galets ici mais on retrouve de temps en temps des petits murs en pisé. A 20km au nord d’ici, à Chabeuil, il y a un rond-point connu ou il y a une ferme en pisé qui fait 40m de long, 6m de haut avec un débord de 20 cm et elle a quasiment 20 ans et elle est nickel. Elle n'est pas entretenue et elle n'a pas bougé. Donc il y a du pisé dans le coin. Et je le remarque aussi parce qu'on a pas trop de mal à trouver de la bonne terre dans le coin.
Figure 1. Mur en pisé, Timur Ersen
On peut parler du processus de recherche du matériau. Quand tu arrives sur un nouveau chantier, l’idée pour toi c’est de chercher de la bonne terre, les bons mélanges etc, est ce que tu peux nous raconter un peu les processus de recherche?
Vu que j’ai une petite expérience, j’ai l’impression d’apprendre encore le processus, donc il n’est pas définitif. Surtout que quand j’ai travaillé pendant un an chez Martin Rauch, la terre était déjà là. C’est plutôt quand j’étais en Turquie, que j’ai appris, presque par mimétisme, en essayant de retrouver les mêmes sensations qu’on avait avec la terre de suisse, bah de trouver. J’ai aussi remarqué qu’en Turquie, à maximum 20/30km autour de chaque village ou on devait aller, tu trouvais tout le temps ce qu’il fallait. Soit directement de la bonne terre mais c’est quand même rare, soit il manquait un peu d'argile ou un peu de caillou. En fait c’est ce que je fait à chaque projet, c’est le plus en amont possible je vais sur site, la première chose c’est de regarder la terre d'excavation, le jour de la première excavation ou encore un peu en amont encore, je regarde ce qu’il y a sous le futur bâtiment, est ce que c’est utilisable, à 100% ou sinon qu’est ce qu’il manque si c’est pas tout à fait bon. La prochaine étape c’est les chantiers aux alentours. Même si je le fais rarement parce que le timing des deux chantiers ne correspond pas forcément. Donc je fais plutôt des carrières autour des projets. Il y a souvent des carrières que ce soit pour le béton ou pour la pierre. Et souvent ils ont de la terre qu’ils utilisent pas. Donc ça les arrange presque qu’on la récupère. Donc je fais le tour des carrières, je réuni toutes ces terres là qui me semble utilisable, je les ramène en échantillon dans mon atelier et je regarde. Je fais des mélanges, je rajoute ci ou ça et des fois je recompose la terre, des fois on trouve la terre nickel. Quand on était en Isère on a trouvé une terre dans la carrière d'à côté. C'était une terre de découverte. La découverte c’est quand la carrière va utiliser un endroit elle découvre le 1er mètre. Et dans cette carriere la la découverte était trop argileuse, donc ca leur aurait demandé trop d’efforts pour laver les cailloux etc. Du coup cette terre là ils la mettent de côté et ils vont creuser plus profond. Et cette terre là c'est vraiment de la terre à pisé, c’est fou. Et tu le vois parce que tous les bâtiments autour sont construits en pisé. Donc la on a pas fait de mélange mais on avait rajouté quelques cailloux mais si je refaisais le projet je ne rajouterais rien du tout. Sinon dans d'autres projets on recompose en fonction de ce qu’on trouve. Mais c’est vrai que comme les projet que j’ai fait pour l’instant c’est Paris, la suisse et le sud de la france bah en fait je n’ai pas beaucoup de projet qui sont dans la zone de pisé. Quand tu es dedans c’est trop bien tu trouves la terre parfaite mais sinon non. Pour le prochain projet que j’ai à Arles, on va devoir recomposer tout le mélange. On a des agrégats, les sables etc et du coup on utilise cette occasion là pour faire que des agrégats de recyclage, c’est du béton concassé, du sable de carrière de pierre, et ensuite l’argile. Ensuite on mélange et ça fait une terre. Mais je préférerais trouver la terre bonne directement. Ca t’évite aussi de perdre de l'énergie de malaxage, de faire livrer des camions etc…
Figure 2. Chantier - Projet personnel - Timur Ersen

Du coup petit à petit tu a créer une espèce de carte avec les endroits ou tu sais ou trouver quoi?
Oui alors je ne suis pas aussi organisé mais je dirais que c’est plutôt une carte sensible. Plus je fais de projets différents, plus tu gagnes de l’expérience sur qu’est ce que c’est une terre bonne, tu perds moins de temps. C'est sensible en fait.
Après il y a des cartes géologiques non?
En fait les cartes géologiques je ne m’en suis jamais encore servi.
Tu n’as pas trouvé ça assez précis?
En fait des fois ça varie à 50 m d’écart, donc je fait plutôt avec ce qu’on va excaver la et voila. Mais c’est presque ça le plus passionnant. De découvrir à chaque fois des terres différentes. et petit à petit tu te remet en question. Tu vois des bâtiments en pisé qui n’ont pas de cailloux et qui ont tenu 200 ans, d'autres qui ont plein de cailloux etc Tu te rends compte qu’il y a plein de terres différentes qui servent pour le pisé. Et c’est aussi les couleurs, en fait la on voit un mur en pisé qui est beige clair parce qu’ici on a de l’argile blanche. J’ai fait un mur dans le Tarne qui était rouge avec des paillette de milka, ensuite ca a été jaune, à paris elle était marron. Enfin bref à chaque endroit c’est différent. ça dépend des endroits et c’est ca qui est trop bien.
Et dans ton processus c’est quoi tes critères de sélection?
J’avoue ne pas être très calé sur le côté scientifique et théorique, je suis plutôt avec une vision très basique. Le pisé qu’est ce qu’on lui demande: c’est de porter et d’être tasser. Donc je prends la terre, je fais des mélanges et je me rapproche de mes sensations et de ce qui me parrait bien, au niveau des proportions d’argile, de liant et d’agrégat et je fais des échantillons. Je les tasse et déjà en tassant tu as la sensation de comment ça réagit. Et ensuite je regarde l'échantillon, comment ils sèchent, comment ils durcissent. donc je le fais plutôt en tassant. Et ensuite pour valider définitivement, dans chaque projet on a des demandes de résistance à la compression, donc on teste les échantillons et on prend ceux qui correspondent au minimum de résistance qu’il faut. Donc c’est assez basique. Ca prend beaucoup de temps de prendre les échantillons, de tester etc mais je ne fais même pas par exemple ce qu’on fait souvent, les test de la bouteille pour savoir combien de proportion d’argile on a dedans, voilà je fais plutôt au feeling. Même si ça peut paraître pas sérieux comme ça mais pour l’instant ça va. Ce n’est pas du béton, on lui demande juste de résister à la compression. Donc ça suffit pour tous les bâtiments qu’on fait en rdc r+1 r+2 qu’on me demande de faire. Après effectivement, pour certain projet on me demande de plus vérifier, de faire plus de carotte, de tester la résistance au cisaillement etc mais sinon pour la recherche de terre c’est ça mon processus.
Figure 3. Chantier Timur Ersen,
Palais de l'Alma. Paris

Du coup toi tu t’es auto formé et tu as appris en Autriche mais est ce qu' en France tu a trouvé des gens qui avait des compétences? Est ce que tu t’es entouré d'artisans qui avaient ce savoir faire la? Vers qui tu t’es tourné?
Quand je suis revenu en France, il y avait ce terra 2016 donc j’ai rencontré des gens là- bas. De Craterre également et quelques architectes. Mais pour l'instant je ne suis pas rentré dans les réseaux de construction en terre. Mais c’est parce que je ne me sentais pas légitime de faire partie d’un réseau, je voulais continuer à apprendre et expérimenter avant de pouvoir partager. Parce qu’en France le savoir-faire, même s’il a été presque perdu, ça fait quand même presque 40 ans qu’il y a des gens qui font du pisé, moi ça ne fait que 3 ans. Vous connaissez sûrement Nicolas Meunier (4), Archivolt (5), il y a plein d'autres entreprises qui ont plus de recul et je n’ai pas encore eu trop l'occasion de partager avec eux sur le savoir faire, comment ils font, comment moi je fait, comment on peut échanger, mais ce serait intéressant. J’avoue que c’est peut être un excès de confiance mais j’ai commencé direct avec l’année d’expérience chez Martin Rauch plus les 3-4 ans en Turquie et Mexique, je me suis auto formé et j’ai commencé petit aussi. Je fais quelque chose de graduel. Chez Martin Rauch c'était un énorme projet, 120m de long, 11 m de haut avec des machines et tout. En Turquie j’ai fait des petits trucs artistiques, ensuite du workshop ou on me permettait de faire des murs. Ensuite en France j’ai fait des sols, des mobilier et ensuite un bâtiment public. Je l’ai fait graduelle comme ça. Et je refuse les projets que je ne peux pas maîtriser. Donc petit à petit je me rends compte qu’il y a plein d’enjeux et que ce n’est pas facile mais voilà c’est une technique de construction de maçonnerie et il n'y a pas besoin d’avoir fait polytechnique. Donc c’est petit à petit.
En ce moment on sent qu’il y a un engouement autour de la construction terre et contrairement à des construction plus standardisée comme le béton, c’est quoi l’avantage pour toi de ce type de construction dans la fabrication et peut être aussi pour les gens qui travaillent avec toi, qu’est ce que ça engage de différent?
Je peux comparer un peu dans le sens ou j’ai fait quatre mois les étés, quand j’avais 16 ans, de voile béton mais je dirais que la différence principale outre le côté économie d'énergie qui est juste de la logique, on a pas besoin de bcp d'énergie pour construire en terre et ca, on peut le répéter ici mais il y a tout ce côté là de logique constructive, il y a de la terre, du bois et de la terre partout sur la planète donc si on arrive à se débrouiller avec ça c'est qu’il y a un soucis. Et on construit comme ça depuis des millénaires. Alors après on a inventé des choses comme le béton mais on est pas obligé de l’utiliser partout sachant que ca demande bcp d'énergie. Mais les avantages je les verrais aussi sur le chantier. c’est que déjà c’est un plaisir de manipuler ce matériel, moi ca me passionne de tasser de la terre, de faire comme des pâtés de sables, on tasse de la terre, on ouvre et c’est porteur, c’est incroyable! Donc ça c'est passionnant. Ensuite ça demande aussi justement de la connaissance du matériau en lui même, j’appelle pas une carrière en lui disant fournis moi tant de m3, je ne réfléchi pas et je le mets en œuvre. Avec la terre on maitrise un peu plus notre savoir faire de A à Z. Ça me donne aussi confiance en soi et en tous ceux qui sont avec moi sur chaque chantier. Ca t’apprend un savoir faire qui fait que tu gagnes de la confiance. Le savoir faire c’est quelque chose qui, je ne l’ai pas encore tout à fait digéré, est une notion centrale. Dans la construction en terre ou en bois, maîtriser un savoir-faire permet déjà de pas être exploitable puisqu'on peut pas te remplacer, t’es pas interchangeable.
C’est gratifiant aussi, on a pas l’impression de faire toujours la même chose. Car si on parle du béton ou des structures bois, il y a quelque chose de très standardisé ou finalement l'artisanat devient plus mécano.
Mais je me demande si ce n'est pas plus la façon de construire qui est standardisée. Le béton, quand tu vois les bâtiments de Scarpa ou il y avait un savoir de coffrage ça peut être passionnant aussi. Mais c’est juste que maintenant, j’ai l’impression qu’il y a une pente de normalisation qui est surtout liée au modèle économique de faire des économie, aller plus vite, faire plus de marge etc l’erreur principale de la standardisation c’est que le humains ne sont pas des machines, donc c'est embêtant de répéter des truc. Une machine elle s’en fiche de répéter des parpaings toute la journée. Mais ça ne plait à personne de faire un truc répétitif toute sa vie.
Donc en construisant en terre ou juste autrement en fait c’est déjà ça, de refuser de standardiser des savoirs faire. C’est ça le principal selon moi. Les arguments écologiques j’ai l’impression que ça va tellement de sens. Moi je me rends compte que ce n’est pas premièrement le côté écologique qui m’a attiré vers le pisé. Au début je me suis menti à moi-même en me disant que c'était le côté écologique mais en fait c’est juste que c’est passionnant. Après je dis aussi que si ce n’était pas écologique ça ne m’aurait pas passionné. Je vois une logique de construire en terre. Après on est dans une période ou on a plein d'outils à disposition et il y a plein d’enjeux donc ça fait aussi plaisir de sentir qu’on est dedans. Qd on pense aux questionnement d'économie d'énergie, même si on utilise quelque machine, on est pas à côté de la plaque. Si il faut vraiment qu’on fasse tous des efforts pour réduire l'énergie j’ai l'impression qu’on est pas totalement à côté de la plaque.
Figure 4. Chantier - Projet personnel - Timur Ersen. Drôme provençale.
4. Maçon piseur
5. Entreprise de pisé


Tu trouves aussi ta place en tant qu’être humain au milieu des machines de construction. Tu te sens encore un peu utile.
Il y a eu le pisé comme au Maroc ou en France il y a des décennies qui était ultra sobre par nécessité et par logique. Maintenant c’est un peu moins sobre en énergie parce que nous on est aussi coincé dans le fait de devoir aller vite et si on doit aller vite il ne faut pas se cramer etc donc on utilise des machines. Mais c’est un équilibre à trouver qui est intéressant à réfléchir. Jusqu'où tu vas, jusqu'à quel outil, à partir de quel type d’outillage tu te fais dominer par eux plutôt que l’inverse. Et je trouve ça très intéressant de réfléchir à ça. Quitte à faire des erreurs. Investir dans des machines pour revenir en arrière. Et pour revenir sur le réseau de la terre en France, c'est un sujet que j’aimerai bien aborder pour voir qui fait quoi. Nous par exemple on utilise des coffrage de béton pour faire du pisé alors avant c'était coffrage bois. Donc il y a plein de choses intéressantes là- dessus.
Tu fais partie des rares qui font de la terre aujourd’hui, tu as donc un peu un devoir d’exemplarité dans le sens où les gens qui voudraient aller vers la terre vont regarder ce qui se fait actuellement et ils vont découvrir ton travail. Est ce que du coup tu as l’impression d’être un peu piéger par moment?
Pas piéger mais dans tous les cas, et c’est juste un constat, c’est qu’il n’y a pas un million de projets en pisé par an. Des fois c’est un peu frustrant aussi, tu as fait beaucoup d’effort pendant 2 mois avec 6 personnes et pendant ce temps là tu sais qu’il y a un million de mètres cubes de bétons qui ont été coulés à côté. Tu te demandes si tu sers à grand chose. Mais en tous cas, pour chaque projet, j’essaye de réfléchir: ok on va faire ce projet là, forcément il va faire partie des 20 projets qui ont été fait en pisé cette année: qu'est ce qu’on fait par rapport à la filière, quel choix on a fait qui peuvent aider la filière. Du coup j’essaye de réfléchir à ce qui me paraît faire sens ou pas. On parle souvent de la stabilisation, ca c’est un truc que j’ai déjà décidé en amont c’est, et vue que je l’ai appris avec Martin Rauch car traditionnellement on ne le fait pas, je ne vois même pas l'intérêt. Mais en France je ne crois pas qu’il y ait des gens qui stabilisent. Mais ici comme on a cette culture, t’as l’air un peu bête si tu utilises ton bâtiment si pendant des milliers d’années ça n'a pas été fait.
Donc il y a ces choix là mais aussi ceux des détails techniques. Vu qu’on est dans un monde ou les projets passent par plusieurs filtre: les bureau d’études, les zones sismiques, etc… il n’y a pas que les artisans qui viennent et qui construisent. Tous ces filtres rajoutent des complexité, des améliorations positives et aussi négatives, il faut se positionner là dessus.
Pour le projet de Paris, c'était par rapport au chaînage en béton armé, moi je pensais que ce n’était pas nécessaire, on a réussi à convaincre, même si ça demande pas mal d'énergie. Mais c’est des choses que j’essaie de faire. Après il faut savoir faire des compromis. Là on est obligé de faire un linteau béton armé au lieu de pierre ou de bois.
Je dirais que c’est comme le vote en fait, quand tu est en train de voter ou de construire un bâtiment pisé tu essaie de ne pas penser qu'à toi, tu penses à l'intérêt général, au commun, ou à la filière. Essaie de prendre du recul. Mais il faut savoir assumer tous les compromis fait aussi. Donc je le vois un peu comme ça.
Que penses- tu du fait de montrer la terre? Quand on était au Maroc, on a rencontré un entrepreneur qui construit en terre , Oussama Moukmir, qui nous disait que si on pense économie de moyen, le fait de construire en terre, comme on est au début et qu’il y a une sorte de pédagogie de vouloir montrer le matériau pour le mettre en avant, en fait écologiquement pour le montrer c’est compliqué. Il faut le protéger, il faut mettre un adjuvant, il y a énormément de moyens qui sont mis en œuvre pour pouvoir le montrer. Toi comment tu te positionne par rapport à ça?
Je ne vois pas quelle énergie supplémentaire ça demande pour le montrer. Si tu regardes toutes les fermes en pisé du Rhône Alpes, le matériau se voit sans enduit. C’est peut être même une question de moyen ou les gens n’avait pas la possibilité de mettre un enduit.
Mais par contre je dirais juste qu’il y a un truc bizarre qui est que je pense que maintenant il y a tellement peu de projet en terre crue que quand il y a un archi qui a envie de faire de la terre, sans parler pour eux, j’ai l’impression qu’il veulent montrer que c’est un projet en terre. Donc des fois ça t'amène à faire des choix illogiques d’isolation, de technique. Parce que tu force quelque chose et donc tu force ton complexe de mur a correspondre a ca et c’est bizarre. Des fois, ok le pisé est porteur, mais c'est comme si c'était un gros enduit extérieur. Parce que tu n'utilises aucune de ces capacités de régulation thermique et hygrométrique parce que tu veux faire un isolant intérieur et tu te coupes de tout ca. Mais je pense qu’on est dans une phase de renouveau, ça va changer. Déjà la on avance, on fait des murs porteurs en pisé dans le marché public, même s’il faut convaincre plus de monde. Chaque exemple, même s’il contient des erreurs, permet d’avancer.
J'aimerai qu’il y ait des études de thermicien et de cycle de vie pour calculer, ici par exemple ou l'hiver n’est pas trop contraignant, l'intérêt d’isoler. Par exemple pour une maison sur 100 ans, voir l'énergie qu’il a fallu pour la production d’isolant et son changement tous les 30 ans par rapport à un surchauffage de l'hiver avec une construction en pisé. Ca se trouve il ne valait mieux pas isolé, tu met un peu plus de bûche ou tu t'habilles un peu plus, ou tu construis des maisons un peu plus petites et en fait paradoxalement il ne valait mieux pas isolé.
Mais je n’ai pas d'arguments scientifique la dessus, c’est des ressentis, mais j'aimerai bien qu’on se penche la dessus. Aussi j’aimerai qu’on ai pas de réponse automatique que construire écologiquement c’est isolé tout le temps. Je ne suis pas sûr de ça. Il y a plein de situations ou bien sûr qu’il faut isoler mais voilà, on pourrait se servir du pisé à 100% pour ce qu’il propose thermiquement. Et de ne pas rajouter des couches et des couches sur du pisé.
Figure 5. La Maison pour tous - Onsite Architecture - Réalisation pisé Atelier Kara, Timur Ersen

Tu fais des marchés publics, est-ce compliqué, avec les ingénieurs actuels qui n’ont pas forcément l’habitude ou les compétences de part leur études, de construire en pisé porteur?
Déjà pour expliquer le contexte, je n’ai fait que 4 marchés publics en tant qu’artisan pisé. Trois porteurs et un non porteurs et le dernier c’est parce que c'était anecdotique, le projet était immense et il n’y avait que deux petits murs en pisé donc ça ne servait a rien de faire l’effort de les faire porter.
Pour les autres, il n’y a pas eu trop de soucis parce que déjà pour que le marché sorte en pisé, je pense qu’ils ont déjà sélectionné le bureau de contrôle en fonction de ca. On se rend compte aussi qu’on tombe toujours sur les mêmes bureaux de contrôle et les mêmes ingénieurs structures. Donc il y a déjà un travail en amont. Après c’est plus sur les détail de chaînage, de tirants, de choses comme ça ou c’est difficile parce qu’en fait on parle entre un ingénieur structure, qui à la connaissance structurel et des calculs alors que moi je ne l’ai pas ça. En tant qu’architecte ou artisan je n’ai pas cette culture de structure. Donc je ne peux pas lui avancer les arguments concrets. On ne maîtrise pas la même langue en fait. Donc j’ai remarqué que les millions de bâtiments existants en pisé ne sont pas pris en compte. Donc je comprends le point de vue mais c’est aussi bizarre. Tu peux te retrouver dans un village tout en pisé avec des bâtiment R+2, R+3 qui sont la depuis 200 ans, et toi pour un rdc, juste à côté dans le même village, sur la même planète, tu te retrouves à mettre des tirants et du béton armé donc tu te dis que : ok j’ai pas les argument pour te dire que j’ai l’impression que c’est bizarre mais j’ai quand même cette impression là… Il faudrait peut être que je me forme à la structure mais en tous cas pour construire un bâtiment en pisé porteur, déjà il faut franchir plein de barrières du coup il y a aussi des maîtrise d’ouvrage à convaincre donc si t’as un artisans qui te dis: il y en a pas besoin et un ingé structure qui dis si, le maître d'ouvrage va croire l’ingé structure car il est compétent là dessus. Nous on est pas considéré comme compétent. Après il y a aussi des normes sismiques, s’il y a un séisme qui arrive, est-ce que le bâtiment existant s'écroule ou pas… Donc il y a pas mal de conversations de sourd, mais la discussion est possible. Dans le projet a Paris qui a été dessiné avec chaînage béton armé et tirant, il y a eu une discussion entre l’ingénieur du projet et un ingénieur que moi j’avais engagé pour arriver au résultat que le chaînage béton n’était pas nécessaire. Donc la discussion existe mais il faut choisir les bons ingénieurs et les bons bureaux de contrôle qui ont envie de réfléchir. Donc en soit ce n’est pas si difficile. Je passe mon temps un peu à pester contre les ingénieurs mais en vrai ça va.
Je pense aussi que plus il y aura d'exemples contemporains, paradoxalement les exemples contemporains convainquent plus que les exemples anciens. Alors que ce devrait être le contraire.
Que penses-tu du fait qu’on utilise de nos jours la terre pour son aspect esthétique et qu’on a tendance à oublier ses propriétés thermique ou hygrométrique?
En fait sur cette notion là je dirais que l'esthétique du pisé attire beaucoup d'architectes et de designers mais je commence a avoir assez d'experience pour remarquer qu’un projet dont la maîtrise d'ouvrage à été simplement attiré par l'esthétique n'aboutit jamais finalement. Parce qu’ils ne vont pas accepter tout ce que ça implique de construire comme ça. Donc au final on se retrouve très rarement dans la situation ou c’est juste pour l'esthétique. Évidemment il y a le peut pêcher de vouloir le montrer tout le temps mais il y a tellement d'obstacles pour aboutir jusqu'à un projet qui se construit en fait il fallait quand même quelqu'un qui soit convaincu du bien fondé de son projet. Aussi il va falloir justifier les coups, le temps de chantier, etc donc si on dit à la maîtrise d’ouvrage que c’est juste pour faire beau ça ne va pas le faire, il y a quelque chose de plus profond.
Ne faudrait-il pas avoir des personnes qui font des études sur les propriétés techniques?
Je pense que c'est presque quelque chose qui devrait être fait dans les écoles d’archi, de thermicien, d’ingénieurs etc d’expliquer ce que c’est la construction en terre. Déjà les étudiants vont comprendre que dans l'énergie grise c’est très simple, c’est un matériau non transformé etc. ca vient en parallèle d’essayer que tout le monde ai un conscience de la sobriété vers laquelle tout le monde devrait aller dans la construction. Et ça devrait s’imposer naturellement. L’architecte s’il prend conscience qu’il doit construire autrement, il va se dire: qu'est ce que j’ai a disposition, j’ai de la terre, du bois et de la pierre, je vais aller vers ces techniques la.
Mais les petites études sur la thermiques et tout ça permettent juste de comprendre un peu plus quand même. On a des outils maintenant pour comprendre un peu plus scientifiquement comment fonctionne l’argile, la régulation hygrométrique etc mais ce n'est pas ça qui va convaincre à grande échelle.
Tu dis qu’il y a aussi quelque chose de plus profond que juste l’aspect scientifique, qu’est ce qu’évoque pour toi la terre, notamment le pisé car tu aurais pu construire avec d'autres techniques mais tu t’es orienté vers celle là, pourquoi?
Je ne me suis pas trop penché philosophiquement sur ca mais mais je crois que c’est très simple, on a tous un parcours qui fait que par hasard tu fais si ou ca, et comme on cherche tous un sens, quelque chose qui te plait, en fait, sans savoir pourquoi, mais le pisé m’a plu. Alors que écologiquement l’adobe fait plus de sens, pas besoin de matériel, pas besoin de le tasser, tu le fais juste sécher au soleil. Mais il ne me passionne pas en tant qu’artisan. En tant qu’architecte il me parait logique des fois de le mettre en œuvre mais en tant qu’artisan je ne sais pas pourquoi je prends plaisir à tasser la terre et ouvrir le coffrage, ce principe la de tassage et d’ouverture m’attire. Mais sans avoir d’explications.
Même si j’ai commencé en 2013 de faire de pisé et je me dis même Nicolas Meunier ou d'autres qui ont 30 ans d’expérience il y a toujours ce côté magique de décoffré et d’avoir son mur porteur qui est là pour 200 ou 300 ans. Donc ca ca renouvelle cette passion a chaque nouveau mur.
Aussi, la maçonnerie, le gros œuvre, car il ne faut pas oublier que c’est du gros œuvre, on parle souvent d'esthétisme mais j’aime bien rappelé que c’est de la maçonnerie. Mais toute cette énergie là, cette énergie de corps pour mettre en œuvre ça, en fait pour moi, pour endurer ça il faut aussi aimer ça. Sinon on le subit. Quand je faisais des voiles en béton sur les chantiers, je ne me voyais pas faire ça toute ma vie. Si tu ne trouve pas du sens dans les efforts que ca demande à ton corps tu ne t’y retrouves pas. Donc j’ai peut être ce luxe là de pouvoir me concentrer sur quelque chose qui me plait mais voilà il ne faut pas oublier que la maçonnerie c’est intense. Il faut que je me concentre sur ce qui me passionne le plus pour pouvoir durer en tant que maçon. Et c’est peut être aussi pour ca qu’il n’y a pas bcp d’entreprise pisé. C’est qu’en fait il faut aussi le faire, faire du chantier, les engins, la pluie, le matos etc… Mais pour moi c’est ça qui est passionnant. Une fois qu’on a fait tous ces efforts là et qu’on ouvre le coffre, tu a fais un truc de concret et ça c'est satisfaisant.
C’est aussi pour ça qu'il y a de plus en plus d’archi qui quittent un peu les agences pour venir sur le chantier. De la a devenir maçon il n’y en a pas beaucoup.
Figure 6. Chantier - Projet personnel - Timur Ersen

Justement quand on t’as rencontré sur le chantier a paris tu disais qu’il fallait justement qu’il y ai un élan sur des modes de production des architectes et qu’il fallait qu’ils basculent de la conception vers la construction
C’est aussi par provocation que je le fait parce que vu que moi je suis rentré dedans c’est facile de mon point de vue de titiller la dessus, mais c’est aussi parce que je vois qu’il y a de plus en plus d'intérêt de la part des architectes ou des designers vers ces modes la de construction mais ensuite on te reproche presque de ne pas être capable de répondre ou de pas pouvoir faire ça etc Et du coup on sent pas mal d’architecte qui sont frustré parce que ils arrivent pas à faire leur bâtiment en terre. Mais t’as envie de dire oui mais il faut qu’il y ait des gens pour le faire en fait. C’est bien que la demande augmente et que l'intérêt augmente mais il faut aussi des gens pour le faire. Pour l’instant dans les cfa qui forment les maçons il ne parlent pas trop de pisé de terre etc… Alors si tu veux vraiment changer les choses alors que toi t’es au courant, t’arrive a avoir les info, t’es intéressé et de temps en temps faire des stages, des chantier participatifs etc, en fait pour avoir vraiment une action concrète moi c’est ce que j'ai fait. Mais je l’ai fait aussi parce que j’avais envie que ca avance. De faire des murs, encore plus de murs ça permet selon moi de faire avancer les choses. Je vois qu’il y a beaucoup d’archi qui aimerait bien faire un peu plus de chantier, c’est très bien, ca nourrit la pratique mais il faudrait aussi plus de maçon, tout simplement. Je m’adresse aux archi parce que c’est souvent eux que ca intéresse mais il faudrait plutôt s’adresser aux maçons, aux centre de formation de maçonnerie. Parce que tous les ouvriers, je le vois quand je fais du chantier en marché publics, tous les autres corps de métier ils hallucinent, c’est la première fois qu’ils voient ça alors que c’est leur métier d'être maçon. Ils sont censés connaître d'autres techniques mais on ne leur laisse ni le temps ni l’apprentissage. Il faudrait que ce soit le maçon lui-même qui aille chercher les info or ce truc de recherche les archi l’ont mais pas les maçons j’ai l’impression. Sauf que ceux qui sont capable d’endurer ce que c’est la maçonnerie bah c’est pas forcément les archi, c’est plutôt les maçons. Donc il faudrait plutôt s’adresser aux maçons mais j’ai moins l’occasion qu’aux archi parce que ces derniers s'intéressent bcp au pisé.
Mais je ne sais pas trop comment faire, je ne sais pas si c’est mon rôle. J’essaie d’aller voir les cfa, de leur parler de pisé, aller voir les compagnons de maçonnerie traditionnelle ou des choses comme ca. Parce que on le voit aussi avec les gens qui se reconvertissent et qui font des stages dans des centre de formations OPEC. J’ai l’impression qu’il y a pas mal d’archi ou autre qui font cette formation là mais ils le font plus par curiosité que pour devenir vraiment maçon. Donc j’ai l’impression que la clef n’est pas vraiment la. Ca me paraitrait normal qu’un ouvrier apprenne à poser du parpaing mais aussi à faire du pisé et comme ca il a le choix. S’il veut faire du parpaing, il fait du parpaing, mais au moins il aura le choix. Si tu ne laisse pas le choix c’est pas un départ équitable.
Moi je me rend compte que dans les équipes que je recrute il y a que des archi quasiment alors que c’est utile aussi. Martin Rauch a fait ça aussi pcq il sait très bien aussi que les archi ont un pouvoir de dessiner en pisé.
C’est stratégique?
Oui, et je pense qu’il n’y a pas de honte à penser stratégie parce que en face, même si on est pas ennemi, ils ont des stratégie aussi. Donc il faut réfléchir et savoir ce que c’est le plus gros impact. Moi je pense que c’est celui de la formation. Mais je pense aussi que ce n’est pas forcément mon rôle de, enfin à petite échelle oui, mais en tant qu’artisan notre rôle c’est de faire du pisé de qualité, de faire avancer les choses la dessus. Et sur la formation il y a plein d’autre gens qui sont plus compétents.
Au Maroc cet été nous avons vu des artisans qui travaillaient. Le coup de la main d'œuvre est bien moindre là- bas donc on peut se permettre de faire des achats plus facilement. Ici ce qui pourrait être un vrai argument contre la construction de la terre c’est que ça coûte cher. Qu’est ce que tu réponds à ça? Est- ce que ça coûte plus cher?
En fait ce qui est dur c’est de faire des généralités, c'est a dire: ca coute plus cher que. Déjà tu vas commencer à comparer des techniques qui sont difficilement comparables. Mais en fait j’essaie de ne plus utiliser le mot cher même si au final on l’utilise mais c’est parce que dans le mot cher il y a une connotation de dire c’est “trop cher”, ca ne “vaut pas ca”. Alors que mois je dirais le contraire. Le ciment, pour comparer au ciment, un sac de 12 euros ca ne “vaut” pas ca, ca devrait valoir beaucoup plus. Ce sac, il a fallu une énergie de malade pour le construire. Donc il y a quelque chose qui ne va pas, on va parler de comparaison de prix dans un monde qui ne marche pas correctement. Donc ça va être difficile de comparer. Moi j’aime bien quand on me titille la dessus, quand tu répond a un marché tu fais un devis et on me dis mais c’est quoi ce prix de fou? C’est aussi pour ça que je parlais des ingénieurs, quand ils disent c’est trop cher? Je leur demande leur salaire, je leur dis mon salaire, et on compare et on voit que ça ne veut rien dire. trop cher. Effectivement ca un coup puisque comme tu disais ca demande de la main d'œuvre et on est dans un modèle économique qui favorise l’industrialisation et la mécanisation. Donc ça veut dire que nous on a deux choix. Soit on mécanisé a fond pour s’adapter au modèle économique actuel et rendre plus accessible cette technique la, mais tu fais des compromis sur par exemple la limite dont on parlait de l’outil que tu domine et qui te domine, bref, soit tu essaie de faire avec autant de main d’œuvre mais par contre forcément cette MO elle a un coup . Mais ensuite il faut essayer de réfléchir à ce qu’est le coup de la main d'œuvre. Je veux dire que dans un marché public l’argent public dépensé dans la main d'œuvre au final il redevient de l’argent public. Avec les cotisations sociales etc l’argent revient dans le pot commun. Donc j’ai l’impression qu’il faut aussi réfléchir la dessus et que ca fait plus de sens de dépenser plus en marché public dans des technique qui demandent de la main d’œuvre plutôt que de dépenser moins dans des entreprise qui en plus de ça vont tout faire pour ne pas donner dans le pot commun. Donc je pense qu’il y a tellement de trucs à prendre en compte dans ces choix de cher/pas cher. Après dans le concret des choses, quelqu'un qui arrive et qui n’a pas le budget pour te payer ça. Soit tu as des alternatives pour réfléchir à comment on peut diminuer les coups, que ce soit par la mécanisation, par la participation ou autre, mais moi je dirai plutôt que c’est dans le changement du modèle économique. Et là je n’y peux rien. En tant qu'artisan je n’y peux rien, c’est pas moi qui fait les règles de l’économie. En tant que citoyen je peux quelque chose mais pas en tant qu'artisan. Donc je suis plutôt à me dire qu’il faut déjà le vendre au bon prix, c’est à dire au prix qui fait qu’on maltraite personne et on sous payé personne et si en face quelqu’un trouve ca trop cher bah désolé mais on ne va pas travailler gratuitement et en parallèle par contre oui si on a l’envie bah essayer de réfléchir à un autre modèle économique qui ne favorise pas la destruction des ressources et la mécanisation de tout quoi. Et ça c'est plutôt politique.
Figure 7. Timur Ersen
Rencontre avec Timur Ersen
Originaire de Roanne, dans le département de la Loire. Timur exerce au début de sa carrière en tant que maçon dans sa famille avant de se former en architecture et de passer un CAP maçonnerie pour se spécialiser sur la construction en terre. Il se forme en Autriche chez Martin Rauch et en Allemagne chez Anna Heringer puis en Turquie et au Mexique où il entame des premiers projets. Rapidement il focalise ses forces et implante son activité en France dans la Drôme provençale dans la commune de Crest, où il construit sa maison - atelier en pisé dans une ancienne maison du village. À travers le travail de la terre, Timur entrevoit une perspective d’architecture. C’est en fabriquant que les choses se construisent et qu’il est possible de proposer du pisé.
Architecture et artisanat
Timur évolue entre la conception architecturale et la mise en œuvre technique. C’est à travers l’artisanat qu’il réussit à développer une activité rentable et à proposer une architecture de terre, située et contextualisée. La construction en terre est selon lui encore une possible de valoriser les métiers du bâtiment, en sortant des systèmes entièrement mécanisés.