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Botaniste et ingénieur en agronomie tropicale, Véronique Mure défend depuis plus de 30 ans la valeur patrimoniale des jardins et des paysages méditerranéens à travers l’histoire des végétaux qui les composent. Nous la rencontrons chez elle à Nîmes où elle nous accueille dans son jardin sauvage rempli de souvenirs et de belles histoires.

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Peux-tu te présenter ?

Je m'appelle Véronique Mure, je suis botaniste. Souvent dans la tête des gens, “être botaniste”, c’est être chercheur, ce que je ne suis pas. J’aime plutôt dire que je suis “artisan-botaniste”, ce qui correspond assez bien à ce que je fais. 


J'interviens dans divers domaines sur des sujets de végétaux et de plantes. J'accompagne des paysagistes dans l'élaboration des palettes végétales (1) pour les préciser car contrairement à ce que l’on pourrait penser les paysagistes n'ont pas toujours une culture botanique importante. Je précise la palette soit par rapport à un lieu, soit par rapport à une typologie végétale particulière, comme l’espace méditerranéen avec le thème de la raréfaction de l’eau. J’accompagne aussi les collectivités dans la formation et dans la sensibilisation. L’histoire des plantes me passionne également. Ce que j’aime avant tout, c’est travailler sur la dynamique des plantes dans un site et essayer de comprendre ce que racontent les plantes dans un jardin.

Quelle est la nature de ton attachement à la Méditerranée ?

J'aime bien dire que je suis une vraie “latine”. Je me sens méditerranéenne, car je suis née à Nîmes. Cependant, je suis partie faire quelques escapades à Montpellier, où paradoxalement, j'ai réalisé des études de botanique tropicale pour devenir ingénieur en agronomie tropicale. Et puis, la vie m'a ramenée à Nîmes et je suis revenu à mes origines à travers la question du vernaculaire, les plantes de garrigue (2) et de maset (3), pour me réancrer dans ces paysages. 

Quels liens particuliers entretiens-tu avec la nature ?

Je n’ai pas tout de suite pris conscience que la nature me faisait du bien. J’ai toujours vécu en ville, et c’est un peu un paradoxe pour moi car j’aime vivre en centre-ville. J’aime la ville mais j’ai toujours baigné dans la nature grâce à mes grands-parents. Je pense que nous sommes très marqués par la relation à nos grands-parents, par leur histoire et leur transmission. Mon grand-père était pharmacien, donc il y a un lien fort et évident avec les champignons du point de vue de la pharmacopée (4). Mon second grand-père était gardian (5) amateur et entretenait un lien fort avec la Camargue. Depuis mon enfance, je baigne entre ces deux milieux avec une synthèse faite à Nîmes, dans ces jardins de garrigue et de masets. Des petits cabanons dominicaux qui entretiennent une grande histoire avec les Nîmois. 

1. En paysage et botanique, le terme "palette végétale" se réfère généralement à une sélection d'espèces végétales spécifiques choisies pour créer un jardin, un parc ou un aménagement paysager particulier. C'est une manière de décrire l'ensemble des plantes, arbres, arbustes et autres éléments végétaux qui composent un espace vert donné. Lors de la conception d'un jardin ou d'un paysage, les architectes paysagistes utilisent une palette végétale pour choisir des plantes qui s'harmonisent bien entre elles sur le plan esthétique, mais aussi sur le plan écologique et fonctionnel. Cette sélection peut prendre en compte des facteurs tels que la couleur des feuilles, la hauteur des plantes, la saison de floraison, la texture du feuillage, et d'autres caractéristiques.

​2. En botanique, la garrigue (du provençal garriga) est une formation végétale caractéristique des régions méditerranéennes, proche du maquis. Selon l'École agronomique de Montpellier, la garrigue est au calcaire ce que le maquis est aux terrains siliceux.

4. Historiquement, une pharmacopée est un ouvrage encyclopédique recensant principalement des plantes à usage thérapeutique, mais également des substances d'origine animale ou minérale

5. Le gardian (du provençal gardian, en français « gardien ») est le gardien d'une manade camarguaise ou troupe de taureaux ou de chevaux élevée en semi-liberté et appartenant à un manadier. Pour le Code du travail, le gardian est un ouvrier agricole. Dans le monde rural de la France du XIXe siècle, c'est le bouvier de Camargue. 

Le gardian ou bouvier Cabern du mas de l'Amarée dans les années 1900..jpg

Mes deux grands-parents avaient des masets et je crois que mes premiers pas d’enfants datent de cette époque. Je n'ai jamais intellectualisé mon rapport à la nature, mais j’ai passé ma vie ainsi.

Aujourd’hui, on arrive à mieux définir le bien-être produit par la présence de la nature, que les Japonais appellent « Shinrin-Yoku » (6) ou « les bains de forêts », grâce aux recherches réalisées sur la communication entre les plantes, ce qu’on appelle les “composés volatiles organiques” (7). Ces composés émanent des plantes et leurs servent à communiquer entre elles. Ces outils de communication sont variés, certaines odeurs sont plutôt agressives, d'autres sont plutôt favorables aux partenaires ou aux autres êtres vivants. 

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Peux-tu expliquer les systèmes de communication entre les arbres et les végétaux, et notamment le rôle des champignons dans ce processus ?

 

En fait, grâce à la recherche depuis une vingtaine d'années, nous nous rendons compte que les arbres adoptent des stratégies de communication. Du fait qu’ils soient fixes, les arbres ont adopté des fonctions variées, des fonctions de communication, des fonctions de respiration, des fonctions d’alimentation qui sont toujours liées au fait qu’ils sont ancrés dans le sol. Comme les plantes ne possèdent pas d’organes vitaux, il est très difficile pour nous de percevoir cela. Pendant très longtemps, nous avons assimilé le rôle des racines uniquement à de l’ancrage et de l'absorption d’eau et d’éléments minéraux. Aujourd’hui nous savons que les systèmes racinaires sont les centres névralgiques qui permettent aux plantes de s’alimenter, avec la photosynthèse qui se réalise par le feuillage. Les systèmes racinaires contrôlent l’arrivée d’eau et la photosynthèse, car ils contrôlent l’ouverture et la fermeture des stomates (8). Si les stomates se ferment, l'eau ne monte plus et il n'y a plus de photosynthèse, donc plus d'élaboration de suc. 

 

Ces systèmes racinaires établissent des symbioses avec d'autres vivants du sol, dont le règne fongique des champignons. C'est assez extraordinaire, car une plante peut partager par ses racines, des champignons avec une autre plante. Marc-André Selosse (9) montre que les chênes verts dans la garrigue peuvent partager des champignons avec des arbousiers (10). Chaque plante qui entre en symbiose (11) avec des champignons augmente sa surface d’absorption de l’eau. En échange, la plante va donner 20 à 40% de ses sucs aux champignons, et si tu considères que ce champignon est aussi en symbiose avec l’arbousier alors, les échanges de sucs, qui sont des échanges de flux de carbone, se transmettent d'arbre en arbre via les champignons. 

 

Il n’y a pas d’échange volontaire de matière carbonée entre le chêne et l’arbousier, mais de fait, comme ils partagent un champignon en commun, il y a un croisement de matière. Partant de ce constat, nous pouvons imaginer que le sol est aussi un immense carrefour de flux de matières (enzymes), et d’informations au même titre que l’atmosphère accueillant les composés volatiles organiques (COV).

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Quelles sont tes références et les grandes influences qui ont construit ta pensée ?

 

Dès que je suis arrivée à la faculté de Montpellier, j'ai eu la chance de suivre l’enseignement de Francis Hallé (12). Depuis 1976, je n’ai jamais vraiment quitté la pensée de Francis Hallé. Il a été un grand enseignement pour moi, un exemple aussi de manière d’enseigner, c’est une personne d’une très grande culture mais qui sait s’adresser à tout le monde. 

 

Je crois que dans ma manière d'être botaniste beaucoup de choses viennent de Francis. Au-delà de la pensée, c’est une question de posture. être simple et venir aux choses et aux êtres simplement en attachant de l’importance au vernaculaire. 

 

Personnellement, j’ai beaucoup travaillé sur la question tropicale avec lui, particulièrement le “jardin de case” (13) et l’agroforêt (14) qui reviennent à la mode en France, mais qui n’a jamais quitté les milieux tropicaux. 

 

Gilles Clément (15) est aussi une personnalité qui m’a beaucoup inspiré, d’autant que mon enseignement s’adresse beaucoup à des paysagistes. Je dirais que c’est un peu ma particularité, d’être une botaniste très en lien avec la question du paysage. Gilles Clément , fait ce lien dans l’autre sens, c’est un paysagiste qui va vers le vivant. 

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Peux-tu nous expliquer rapidement pourquoi nous avons tué nos sols ?

Pourquoi avons-nous tué nos sols ? Globalement, pendant toutes les périodes des révolutions industrielle et agricole, nous avons fait plus confiance à la chimie qu'à la complexité de la vie. 

Nous avons simplifié ce qui se passait naturellement, pour isoler ce qu’on voulait produire. 

Par exemple, grâce à la chimie, nous avons tué toutes les concurrences de nos productions agricoles. Pour favoriser les rendements agricoles, nous avons apporté des engrais chimiques, des minéraux et des intrants. Aujourd’hui, nous nous rendons compte que tous ces ajouts ont tué les sols, et que ces comportements nous ont amené vers une course sans fin. 

C’est la complexité qui amène l’équilibre…Plus tu tues, plus tu déséquilibres et plus tu es obligé de tuer. 

Aujourd’hui, nous devons en finir avec ce système. Il faut retrouver la confiance dans la complexité et dans les choses qu’on ne maîtrise pas. Par exemple, dans mon jardin à Nîmes, je ne mets absolument aucun produit et pourtant je n’ai jamais aucune maladie. Alors certes, c’est un peu le bazar, mais je fais confiance aux plantes et tout s’organise entre soi. 

Il ne faut jamais oublier que la terrestrialisation (16) de notre environnement est arrivée 1500 fois avant que nous arrivions sur terre, nous êtres humains. Les plantes et les végétaux ont eu le temps de s’organiser avant nous et se sont toujours débrouillés sans nous. Il faut que nous arrivions collectivement à faire confiance au génie naturel et à comprendre que les plantes peuvent vivre en société. 

Les plantes vivent en société dans la nature, mais aussi dans les systèmes agricoles, comme la permaculture. Nous devons remettre de la complexité dans le vivant et particulièrement dans nos villes où l’on sait que les arbres seront notre grand recours pour que la ville reste vivable. 

 

Mais pour que la ville reste vivable, il faut aussi qu'on permette aux arbres de vivre. Il ne s’agit pas d’implanter les arbres comme du mobilier urbain, des lampadaires ou des poteaux de signalisation, car ils n’arriveront jamais à s’en sortir, nous devons au contraire les accueillir confortablement. 

Il ne s’agit pas tant de chercher la bonne espèce que d’être attentif à la manière dont on les accueille, notamment concernant le sol. Il faut leur laisser de la pleine-terre pour leur permettre de faire société. 

 

Ce n’est pas évident pour nous de lâcher un peu prise, car l’être humain a tenté depuis des lustres de maîtriser la ville, mais nous devons penser différemment et laisser la place à l’aléa, donner la liberté à la végétation. 

 

Comment est- ce qu'on enseigne le paysage et la botanique en France aujourd'hui ? As-tu perçu une évolution de l'enseignement depuis tes études ? 

Cela fait très longtemps que j’enseigne la botanique au CADREF (l’Université de la Culture Permanente et du Temps Libre) (17), à l’origine à des personnes qui avaient du temps libre, plutôt du troisième âge. Cet enseignement est à la fois formel, hebdomadaire et donc dense, mais c’est aussi un enseignement libre qui ne suit aucun programme. Je mettais le programme en place, et les étudiants recevant cet enseignement étaient des personnes volontaires, il n’y avait pas d’examen final. 

 

Les personnes âgées m’ont appris énormément, en ramenant leur savoir vernaculaire. D’ailleurs, j’ai réalisé des expositions avec ces “étudiants”, qui emmenaient autant de choses, si ce n’est plus que moi. Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes suivent ces cours. 

Depuis 15 ans, j’enseigne également à l’École Nationale Supérieure du Paysage de Versailles.  Ce qui est drôle, c’est qu’on a l’impression que les paysagistes font forcément de la botanique et qu’ils disposent de ce savoir, mais c’est une illusion totale. 

L’enseignement dans les écoles de paysages est très variable, il n’y a pas beaucoup d'écoles de paysage en France, et chacune dispose de sa particularité. 

J’ai enseigné sur le site de Marseille de l’école de Versailles, je ne pratique pas un enseignement formel, je préfère proposer des balades sur le terrain, j’herborise (18) avec les étudiants leur site de projet. Mon enseignement passe par le fait de raconter des histoires, c’est ma personnalité et je pense que cette manière de faire est bien accueillie par les étudiants. Bien sûr, mon objectif est que les étudiants reconnaissent les plantes, mais j’essaie aussi que les plantes soient perçues comme des êtres vivants. C’est très ambitieux, mais je pense que cela passe par le fait de raconter des histoires. 

 

Quel rapport entretiens-tu à la jeunesse ?

Pour moi ce rapport à la jeunesse est extrêmement important parce que notre rapport au monde et à la connaissance évolue. J’ai des fils qui ont l’âge des architectes et des paysagistes de la résidence Acclimatation(s) (19). A mon âge, je pense qu’il faut complètement se fondre dans cette jeunesse qui fabrique l’avenir. Si je peux mettre mes connaissances au service de cette jeunesse, je trouve cela important. 

 

Je suis surtout passionnée de voir combien les méthodes de travail ou le rapport au monde évolue. L’avenir, c’est la jeunesse, ce n’est plus moi. C’est perturbant de le penser, mais c’est la vérité. 

Par exemple je travaille beaucoup avec l’agence de paysage Coloco (20) en particulier Miguel Georgieff, au départ c’était très perturbant pour moi parce que j’ai été formé à travailler avec des collectivités territoriales sur des projets très complexes, très lourds administrativement et là, c’était tout le contraire, nous passions notre temps sur le terrain, à rencontrer les habitants. Nous n'écrivions presque rien, nous faisions. 

J’étais assez perturbée parce que je n’avais pas matière d’écrire des comptes rendus hyper précis au risque de débats, de conflits. Avec les Coloco, nous ouvrions tous, nous mettions tout le monde ensemble et nous partions sur le terrain pour se rencontrer et discuter. J’ai trouvé cela absolument passionnant, même si je me suis aperçu aussi que mes textes pouvaient leur servir. 

 

Est- il difficile d'intégrer ou de créer un jardin au milieu patrimonial ? Dans le cas du jardin du Fort Saint-Jean à Marseille, à quelles difficultés as-tu été confrontée ? 

La question du lien avec le patrimoine est très importante, j’ai beaucoup travaillé dans des lieux patrimoniaux. J'ai beaucoup travaillé sur le site du Pont du Gard (21), j'ai beaucoup travaillé sur le Canal du Midi (22) et puis j'ai travaillé avec les paysagistes APS (23) et Olivier Filippi (24) sur le site marseillais du Fort Saint-Jean. 

 

Dans ce cas, la question patrimoniale n'est pas rentrée directement avec le fort, car l’infrastructure était à l’abandon, il y avait tout à faire.

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Sur le canal du Midi (25), qui est classé patrimoine mondial de l’UNESCO (26), j'ai réalisé un gros travail de recherche dans les archives pour retracer toute l'histoire des alignements d'arbres depuis l'origine du canal  jusqu'à nos jours. Concernant le grand site du Pont du Gard (27), le travail de recherche a été similaire. J'ai beaucoup travaillé sur l'histoire de ce paysage pour essayer de retracer comment le lieu avait été façonné par les agriculteurs du site. A Marseille, le propos d’Olivier Filippi a été tout autre, nous avons parlé de la question des migrations des plantes en lien avec l’histoire du port de Marseille.

Nous voulions mettre en lumière que la question de la migration des plantes pour montrer qu’elle était une vraie question d'actualité, de société et même politique.

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Figure 1. Le gardian ou bouvier Cabern du mas de l'Amarée dans les années 1900.

6. Le shirin-yoku, la sylvothérapie ou « bain de forêt »… Une célébration de la nature, un remède à l'hyperconnexion et au surmenage. Le shirin-yoku a été inventé au Japon autour de 1980. Une pratique bien-être qui commence à se faire connaître chez nous comme un « bain de forêt » ou encore la bien nommée sylvothérapie.

7. Les composés organiques volatils, ou COV sont des composés organiques pouvant facilement se trouver sous forme gazeuse dans l'atmosphère terrestre. Ils constituent une famille de produits très large. Ces composés ont la particularité d'avoir un point d'ébullition très bas, ils s'évaporent ou se subliment facilement depuis leur forme solide ou liquide. Cela leur confère l'aptitude de se propager plus ou moins loin de leur lieu d'émission, entraînant ainsi des impacts directs et indirects sur les animaux et la nature.

8. Les stomates sont des pores à la surface des feuilles qui permettent les échanges gazeux entre la plante et l'atmosphère, ce qui les rend essentiels à la vie des plantes terrestres.

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9. Marc-André Selosse, né le 29 mars 1968 à Paris, est un biologiste et vulgarisateur français spécialisé en botanique et mycologie. Il a travaillé sur la symbiose, en particulier dans les domaines de l’évolution et de l’écologie. 

10. L'Arbousier ou Arbousier commun (Arbutus unedo), parfois appelé Arbre à fraises, est une espèce de plante à fleurs de la famille des Ericaceae. Ce sont des arbustes ou de petits arbres qui poussent sur l'ensemble du pourtour méditerranéen occidental mais aussi dans le nord du pourtour oriental. Son fruit est appelé arbouse (et n'a pas de rapport avec la fraise). 

11. La symbiose (du grec σύν / sýn, « avec, ensemble » et du nom βίος / bíos, « vie ») est une association intime, durable entre deux organismes hétérospécifiques. Elle peut être obligatoire (stricte) ou facultative. Les organismes impliqués sont qualifiés de symbiotes ou de symbiontes (anglicisme) ; le plus gros peut être nommé hôte. La durabilité de l'association est relative et recouvre une part significative de la durée de vie d'au moins un des deux organismes. La symbiose sous-entend le plus souvent une relation mutualiste, dans laquelle les deux organismes bénéficient de l'association, mais l'étymologie implique que les deux partenaires « vivent ensemble », si bien que la symbiose peut être parasitaire, profitant à l'un des deux organismes mais nuisible à l'autre, voire commensaliste, c'est-à-dire qui est bénéfique à un organisme, mais neutre pour l'autre

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12. Francis Hallé, né le 15 avril 1938 à Seine-Port (Seine-et-Marne), est un botaniste, biologiste et dendrologue français.

13. Les jardins de case peuvent se définir comme un écosystème agroforestier situé à proximité d'une concession ou d'une habitation permanente et géré par une main d'œuvre familiale. 

14. L'agroforesterie est l'association d'arbres et de cultures ou d'animaux sur une même parcelle. Cette pratique ancestrale permet une meilleure utilisation des ressources, une plus grande diversité biologique et la création d'un micro-climat favorable à l'augmentation des rendements.

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15. Gilles Clément, né le 6 octobre 1943 à Argenton-sur-Creuse (Indre), est un jardinier, paysagiste, botaniste, entomologiste, biologiste et écrivain français. 

16. (Paléontologie) Colonisation du milieu terrestre par les êtres vivants, elle s’est produite pendant l’Ordovicien. Transformation d’un milieu aquatique en milieu terrestre. 

18. Recueillir des plantes dans la nature pour les étudier ou utiliser leurs vertus médicinales.

19. Résidence d'architecture sur les îlots de fraîcheur en milieu patrimonial

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Figure 5. Jardin du Fort Saint-Jean à Marseille.

26. Le 7 décembre 1996, l'UNESCO inscrit le canal du Midi sur la prestigieuse liste du Patrimoine mondial. Cet événement traduit la reconnaissance par la communauté internationale de la “Valeur universelle exceptionnelle” du bien.

Figure 6. Préfiguration Opération Grand Site Canal du Midi du Malpas de Fonseranes (34) 2015-2016

Il y a une espèce de conflit aujourd’hui dans les métiers du végétal entre les plantes exotiques et les plantes indigènes (28). Avec Olivier Filippi, nous luttons contre le dogme qui viserait à n’utiliser que des plantes dites “indigènes” dans les aménagements des jardins. Selon nous, ce caractère indigènes est excessivement difficile à caractériser. Toutes les plantes de méditerranée viennent d’un ailleurs ou ont été d’un ailleurs sur le temps long, en plus lorsqu’on pense au changement climatique, il est impossible de considérer vision figée de la végétation. 

Dans le Jardins des migrations du MUCEM, nous avons eu la volonté de raconter toutes ces histoires. L’histoire de ces plantes méditerranéennes qui sont arrivées par le port de Marseille à un moment ou à un autre. Nous avons composé ce jardin comme 15 tableaux qui racontent 15 histoire de la Méditerranée. Ce travail a été passionnant, et nous avons créé une continuité entre le musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée et son jardin. Nous avons raconté cette histoire et d’abord au travers des plantes. 

 

Au départ, le MUCEM n’avait pas percuté cet engagement de notre part, il n’était question que de considérer le jardin comme un simple prolongement vers l’extérieur pour les Marseillais, ouvert au public. Nous avons bataillé pour poser des petits cartels de présentation pour raconter ces 15 tableaux.  

 

Ce jardin est aussi exemplaire dans la question de son autonomie. C’est le seul jardin, je pense à ce jour, sans arrosage automatique. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’arrosage du tout, mais simplement que l’arrosage est respectueux du cycle de vie des plantes.

Le problème, c’est qu’aujourd’hui la majorité des jardins ont un dispositif d’arrosage automatique, sans aucune réflexion. Le Jardin des migrations est de ce point de vue un jardin vitrine qui montre qu’il est possible de faire un beau jardin sans arrosage automatique. 

Si l’on revient à la question de nos racines, l’inconvénient de l’arrosage automatique est qu’en général le goutte-à-goutten'alimentent en eau que les premiers centimètre du sol. L’arbre ou la plante, ne sont pas idiotes et leur opportunisme fait qu’ils ne développeront leur racine qu’à proximité de l’eau dans les premières parties du sol, vulnérables à la sécheresse et de ce point de vue tu n’accompagnes pas les plantes vers l’autonomie. L'arrosage automatique empêche les racines des plantes de s’ancrer profondément dans le sol. 

Aujourd’hui, tout le monde a peur d’un jardin public sans arrosage automatique. Aucune maître d’ouvrage, privé ou public, n'accepterait de prendre ce risque. Dans le cadre du Jardin des migrations à Marseille, c’est l’Etat au travers du MUCEM, qui a accepté ce choix, la ville de Marseille aurait certainement refusée. C’est un jardin marseillais mais qui n’est pas porté par la ville de Marseille. 

Cette question est primordiale aujourd’hui, surtout lorsqu’on voit les étés devenir de plus en plus secs et chauds dans les villes méditerranéennes, il faut que nous accompagnons les plantes vers l’autonomie. 

28. Qui est né dans le pays dont il est question.

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Comment penser une gestion intègre à la conception initiale du jardin, après le départ du concepteur ?

Aujourd’hui, la question climatique influe complètement sur la question de la conception. Mon expérience du Jardin des migrations et ma proximité avec Gilles Clément, m’ont fait changer ma vision sur la conception d’un jardin. Il est de plus en plus évident qu’un jardin n’existe pas le jour où le concepteur le livre. Pour créer plus de symbiose et de possibilités de vie, il faut lâcher la maîtrise anthropique et donner plus de liberté au végétal.

 

Si tu veux que tes plantes soient plus résilientes, qu'elles aient des systèmes racinaires mieux ancrés, cela veut dire que tu vas devoir privilégier les semis aux plantations. Aujourd’hui, un concepteur ne peut pas livrer un jardin qu’il n’aurait fait que semer, aucun maître d’ouvrage n’accepterait cela malheureusement. 

 

Cependant, je pense qu’il y a des process à inventer, des dynamiques de jardins à trouver où les plantes ressemeraient et fabriqueraient de nouvelles générations de plantes qui feraient jardin. Cela voudrait dire que le concepteur ne travaillerait plus en plan figé, mais sur le temps long et que le jardinier participerait activement à ce processus en prolongeant le travail du concepteur.  

C’est ce que Gilles Clément appelle, le “le jardinage par soustraction” (29), c'est-à-dire qu’au lieu de planter, tu ne fais juste qu’enlever les choses présentent sur le semis.

 

C'est aussi un autre concept sur lequel il a posé des mots qui est le “partage de la signature”. Il n'y a plus un concepteur unique qui crée un jardin, mais il y a un paysagiste qui fait un dessin et il partage la signature de ce dessin avec les plantes et avec le jardin. Cette pensée change tout et je trouve cela assez beau. On la retrouve dans les pays scandinaves où la pression climatique est moins forte que dans les pays méditerranéens. 

Comment penser la spontanéité du vivant dans les villes ? As-tu toujours pensé les arbres comme des êtres vivants ? A quel moment as-tu changé de regard ? 

En ville, les arbres sont tellement maltraités, cela est flagrant. Les arbres ont autant de valeur que du mobilier urbain, des lampadaires…etc. C’est en premier lieu ce traitement qui m’a fait réagir, et sans sensiblerie, je pense qu’il y a urgence à mieux traiter les arbres dans nos villes. 

Au fur et à mesure, je me suis intéressé à l’importance des systèmes racinaires, qui sont très peu connus même chez les botanistes. En France, je ne connais que Claire Atger (30), qui traite réellement de ce sujet. 

Lorsque je me suis rendu compte que pour les paysagistes ou les urbanistes, le sous-sol n’existait quasiment pas dans la conception, j’ai réagi. Après ma principale porte d’entrée, c’est le lien qui nous unit aux arbres et maintenant, je tends à aller plus loin en essayant de créer du lien entre deux règnes du vivant qui n’ont pas beaucoup d’outils de communication communs. 

En quoi les végétaux peuvent nous inspirer dans notre société ?

Lorsqu’on aborde l’intelligence du vivant non-humain, bien-sûr le mot “intelligence” fait polémique. parce que les végétaux n'ont pas de cerveau et donc pas de siège de l'intelligence. Selon moi, les végétaux ont mis cette intelligence dans le vivre ensemble. Comme les végétaux sont fixes, et qu’ils sont dans l’obligation de compter les uns sur les autres pour assurer des fonctions vitales, ils ont tout misé sur le vivre ensemble. Pour la reproduction, la fleur a été un avantage évolutif considérable, qui leur a permis de compter sur la pollinisation (transport du pollen, fécondation…). 

 

Nous pouvons donner deux interprétations à cela. Selon, Francis Hallé, les plantes nous dupent. Selon, Emanuele Coccia (31), philosophe italien auteur de : La vie des plantes, une métaphysique du mélange, (32) les plantes font confiance au vivant mobile parce qu'elles n'ont pas d'autre choix. 

 

Donc toutes les fonctions des plantes sont basées sur le fait qu'elles sont fixes et qu'il faut qu'elles assurent leurs fonctions vitales. Elles comptent sur des vivants mobiles et elles ont un immense avantage sur le règne animal mobile c'est qu'en étant fixes, elles ont la capacité de fabriquer leur énergie de manière autonome grâce à des éléments très simples qui sont l'eau, l'oxygène, le dioxyde de carbone et en fonction de la lumière. Grâce à ces trois composantes de notre environnement, les plantes savent fabriquer des sucs et leur énergie et recyclent les déchets de cette consommation énergétique pour leur structure, en s'en servant pour assurer leur rigidité. Et c'est quand même absolument magnifique. C'est-à-dire qu'elles n'exportent rien, elles recyclent tout. Les plantes basent toute leur existence sur la relation avec les autres, et je trouve cela extrêmement inspirant.

 

Vois-tu une évolution dans le traitement des plantes dans la ville ? Y a- t-il des différences entre plusieurs territoires ? 

Les différences dans l'évolution de la prise en compte du végétal dans la ville sont multiples. La première à mon sens concerne l'implication citoyenne. Je pense qu’il y a vraiment un fossé entre l’implication citoyenne et la prise de conscience des politiques. 

Notamment, aux dernières élections municipales, où tout d’un coup, l’arbre est devenu un enjeu dans tous les programmes des candidats. C’était bien sûr totalement excessif et inconscient avec des chiffres intenables, mais qui sont arrivés sous la pression des électeurs. Aujourd’hui, on sent bien que les citoyens sont plus en avance sur ces sujets que la sphère politique et je trouve cela très passionnant. 

 

Lorsque tu es botaniste, les gens te sollicitent très souvent sur les palettes végétales et le choix des essences d’arbres qui résisteront aux changements climatiques. 

 

Je détourne toujours cette question en me référant à ce qu’il advient aujourd’hui des essences d’arbres plantées à l’époque d'Adolphe Alphand (33). Dans les villes françaises, nous avons planté qu’une poignée d’essences d’arbres différentes et l’on se retrouve avec des alignements monospécifiques de platanes, de marronniers, de tilleuls, très peu d’espèces finalement qu’on a déroulé sans réellement prendre conscience de l’impact que cela aurait sur le long terme. 

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Aujourd’hui, le constat est lourd, la majorité des essences plantées en ville sont vulnérables. Par exemple, l’Orme, qui était la principale essence des villes françaises, est sensible à la graphiose (34), les platanes sont touchés par le chancre coloré (35) partout en France, le marronnier devient trop sensible à la chaleur et parfois ils fleurissent deux fois dans l’année. 

 

Ces constats m’amènent à dire, que ce n’est pas tant les essences auxquelles il faut être attentif, mais plutôt la manière que nous avons de planter dans nos villes et à l’entretien de ces plantations. Il faudrait arrêter de planter de manière monospécifique, et de permettre aux arbres de faire société. Il faudrait planter à la bonne échelle, et éviter de mettre des arbres dont la hauteur peut atteindre plus de 40 mètres dans des rues inadaptées. 

Les villes doivent supporter des canicules de plus en plus fortes. Est-il possible de créer des îlots de fraîcheur en milieu méditerranéen, lorsqu’on connaît les contraintes de ces milieux, en particulier la sécheresse et le manque d'eau ?

La question de la réduction de l'îlot de chaleur urbain (ICU) pour créer des îlots de fraîcheur urbains est cruciale aujourd'hui dans la ville et tout d'un coup l'arbre est devenu l'élément miracle qui va permettre de réduire ces îlots de chaleur. 

 

Pour que l’arbre participe à ce processus de rafraîchissement, par l’ombrage et l’évapotranspiration, il faut qu’il soit dans de bonnes conditions et qu’il ne se retrouve pas en souffrance. 

Si l’arbre est en souffrance, il va se mettre en repos et perdre ses feuilles. La première réaction d’un arbre lorsque la chaleur augmente est de fermer ses stomates et donc d’arrêter de produire de l’énergie, d’arrêter de faire circuler l’eau et donc de transpirer. Puis il perd ses feuilles et se replie sur lui-même, dans ces conditions il ne pourra pas aider à réduire la chaleur dans l’espace urbain.

Pour limiter les ICU dans nos villes, je dirais qu’il ne faut pas miser sur un seul élément, mais bien plutôt recréer un contexte urbain propice.  Un urbanisme qui nous “réactionne”, où l’on remet en culture des jardins avec une vision plus écologique, où l’on remet de la complexité dans nos sols. Je crois à la complexité, ce qui est difficile à entendre aujourd’hui dans une société, qui nous pousse à tout catégoriser, à tout fragmenter…Au contraire, il faudrait tout repétrir pour que cela fonctionne mieux. 

 

Figure 7. Grand site du Pont du Gard. © Véronique Mure. 

29.  Dans ma manière de faire de la permaculture, sur une très large partie du potager, je pratique un désherbage par soustraction…ce n’est pas du désherbage, c’est un jardinage par soustraction. Le désherbage consiste à enlever tout ce que l’on a pas mis. Le jardinage par soustraction consiste à enlever les plantes qui peuvent faire prendre un risque à celles que l’on veut garder. Dans mes planches de potager j’ai plein d’oiseaux et d’animaux qui arrivent et qui apportent des graines alors, il y a quelquefois un surcroît de plantes qui vont gêner celles que je veux cultiver. Donc là j’en enlève une partie surtout quand c’est proche d’un semis car on est obligé de laisser venir la lumière et l’eau. (Gilles Clément, Jardiner Autrement, le 2 juillet 2021). 

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31. Emanuele Coccia, né en 1976, est un philosophe d'origine italienne, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales depuis 2011. 

32.  La Vie des plantes. Une métaphysique du mélange, Paris, Payot et Rivages, 2016

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33. Jean-Charles Adolphe Alphand, né à Grenoble le 26 octobre 1817 et mort à Paris le 6 décembre 1891, est un ingénieur des ponts et chaussées et administrateur français. Connu pour son travail d'embellissement de Paris, avec le baron Haussmann et ensuite comme directeur des Travaux de la ville de Paris, il est considéré comme le père des espaces verts de Paris. 

Figure 8. Boulevard Richard Lenoir. ALPHAND Adolphe, Les Promenades de Paris, 2 vol., Paris, J. Rothschild, 1867-1873.

35. Le chancre coloré est une maladie vasculaire incurable qui affecte les platanes et provoque leur dépérissement. 

Retranscription : Antoine Basile, architecte des patrimoines.

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